L’alimentation des animaux d’élevage, c'est compliqué. Rempli de glucides complexes et d’autres éléments nutritifs inaccessibles, un aliment pour bétail mal équilibré peut donner lieu à une surproduction de méthane et contribuer aux changements climatiques. Améliorer la digestion animale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en gardant les animaux heureux et en santé, c’est essentiel... et compliqué.
Les microbiologistes Wade Abbott, Ph. D., et Greta Reintjes, Ph. D., sont bien conscients que, lorsqu’il s’agit d’améliorer la digestion du bétail, le terme « compliqué » est un euphémisme. Bien qu’ils partagent une passion pour le monde compliqué des microbes, c’est un autre mot commençant par la lettre « c » qui les a réunis : collaboration.
Un mystère microscopique
Wade Abbott, Ph. D., chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), n’a pas grandi en étant obnubilé par les microbes. En fait, ce n’est que lors de ses dernières années à l’université qu’il a trouvé sa vocation : la recherche scientifique.
Qu’est-ce qu’un microbiome du rumen?
Le microbiome du rumen représente la communauté de bactéries à l’intérieur du système digestif d’un animal au pacage ou « ruminant » (bovins, ovins, caprins, etc.). Cette communauté de bactéries se trouve à l’intérieur du rumen, un des quatre estomacs d’un ruminant. Le microbiome du rumen est essentiel pour la métabolisation des végétaux dont ces animaux se nourrissent.
Depuis 2011, il passe ses journées au Centre de recherche et de développement de Lethbridge à essayer de percer le mystère du microbiome du rumen. La théorie de Wade est que les prébiotiques (type de fibre qui favorise la croissance de bactéries saines dans l’estomac) et l’alimentation sont des facteurs clés pour améliorer la digestion du bétail. Son but était d’optimiser les aliments du bétail et de réduire la production de méthane, tout en améliorant du même coup la santé des animaux.
Cela dit, comme pour tout bon mystère, les réponses n’étaient pas évidentes.
Pour étudier la réaction entre un aliment du bétail et les bactéries ruminales, Wade et son équipe ont nourri le bétail avec un échantillon d’aliment du bétail, ont attendu qu’il soit digéré, et ont analysé les constatations. Inutile de préciser que cette approche était loin d’être idéale. « Vous pouvez nourrir un animal avec un aliment donné et constater les changements, mais vous ne connaissez pas la raison des changements. Vous savez juste que c’est différent », explique Wade.
Ce dont il avait besoin, c’était un meilleur moyen d’étudier les subtilités de la relation entre les bactéries et l’aliment du bétail.
Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’une brillante étudiante en microbiologie marine d’un centre de recherche en Allemagne, le Max Planck Institute, avait mis au point une technique qui pouvait changer à jamais les recherches sur le rumen.
Un avenir fluorescent
L’étudiante au doctorat Greta Reintjes est depuis toujours fascinée par l’océan. Cependant, alors que les autres admiraient sa beauté de façon superficielle, Greta souhaitait analyser le tout plus en détail : « Il existe tant de microbes dans la mer, mais personne ne m’en disait plus à ce sujet! ». Elle a donc plongé tête première dans les profondeurs du monde microscopique.
Comme Wade, elle a étudié comment les sucres ont été divisés dans les communautés bactériennes. Toutefois, alors que Wade se heurtait à un obstacle sur terre, Greta a trouvé une solution dans la mer.
Au moyen d’une méthode d’étiquetage qui existait déjà, Greta a découvert qu’elle pouvait utiliser un microscope à haute résolution et un colorant fluorescent pour observer la réaction entre les sucres et les bactéries. L’ajout de colorant fluorescent aux sucres a permis à Greta de les repérer et d’observer ceux qui étaient métabolisés par certaines bactéries.
Son chemin a croisé celui de Wade lorsque ce dernier s’est rendu en Allemagne pour présenter un exposé sur ses recherches. Curieuse de savoir si ses travaux pouvaient éclairer les siens, Greta s’était jointe aux participants, et une idée a alors commencé à germer dans son esprit : pourquoi ne pas utiliser ses techniques pour aider Wade? Voilà ce qui allait changer la donne pour les recherches sur le rumen!
Lorsqu’ils se sont rencontrés après l’exposé, Wade et Greta étaient ravis de constater à quel point leurs projets respectifs étaient complémentaires, malgré le fait qu’ils visaient des écosystèmes différents. Ils auraient voulu lancer un projet sur-le-champ, mais les nouveaux projets de recherche exigent du temps et de l’argent, deux exigences de taille qu’aucun d’entre eux ne pouvait remplir.
Wade est donc retourné au Canada, et Greta a poursuivi ses études au doctorat en Allemagne. Il lui avait confié quelques-uns de ses échantillons comme cadeau d’adieu, dans l’espoir qu’un jour leurs chemins se croiseraient de nouveau.
Deux ans plus tard, une célèbre scientifique du nom de Marie Curie leur a finalement donné cette chance.
Quand une bourse de recherche devient un partenariat
Alors que ses études au doctorat tiraient à leur fin, Greta ne pouvait ignorer l’incroyable potentiel que représentaient les échantillons de rumen que Wade lui avait remis. Avec raison : dès qu’elle les a mis sous le microscope, leur projet de recherche s’est concrétisé devant ses yeux.
La bourse d’études Marie Sklodowska-Curie
L’une des bourses les plus prestigieuses dans le domaine scientifique, cette bourse de recherche mondiale, financée par l’Union européenne (UE) , permet une collaboration entre scientifiques de différents pays. Le boursier doit choisir un établissement de recherche à l’extérieur de l’UE où il mènera des recherches sur un sujet de l’heure ou prometteur dans leur domaine d’études, en collaboration avec un mentor. Ensuite, le boursier revient dans un établissement européen pour y mener à terme son projet de recherche.
Puisqu’elle devait trouver un moyen de rejoindre le laboratoire de Wade, Greta a réussi à obtenir une bourse d’études Marie Sklodowska-Curie et s’est rendue dans le pays du Grand Nord en 2019.
Pendant les deux années qui ont suivi, le duo a combiné les méthodes microscopiques de Greta et les recherches sur le rumen de Wade. Ils ont analysé les effets des prébiotiques sur le système digestif, dans le but d’améliorer les aliments du bétail et de favoriser une croissance bactérienne saine à l’intérieur des estomacs des animaux d’élevage.
Ni Wade ni Greta n’aurait pu prévoir l’importance de leurs efforts. Ils ont créé une nouvelle méthode d’étiquetage pour les communautés microbiennes, ce qui a donné lieu à de nouvelles possibilités pour les scientifiques. Même après son retour en Allemagne en 2021 pour la dernière année de ses études postdoctorales, Greta a continué de collaborer avec Wade en étudiant les sucres provenant de champignons, d’algues et de végétaux, dans l’espoir de trouver une solution durable pour les aliments du bétail.
« Notre expérience témoigne simplement de l’importance de voyager et d’établir des relations, mentionne Wade. Ce genre de choses ne peuvent pas se faire par courriel ou dans des salles de clavardage virtuelles. Je crois qu’il s’agit d’un aspect très important d’une carrière scientifique, et le fait que Greta ait obtenu une bourse d’études et soit venue au Canada est la preuve de ce qui peut se produire. »
Lorsqu’on crée un réseau et favorise l’établissement de relations, d’incroyables possibilités de collaboration peuvent surgir de façon inattendue. Parfois, ces possibilités sont tout près de nous. Et parfois, il faut traverser un océan.
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