Approche phytosanitaire intégrée contre la teigne du poireau : 10 années de recherche concertée, de développement et de transfert des connaissances

Phytoprotection Durable
Des résultats du Programme de réduction des risques liés aux pesticides

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Figure 1 : Étapes du développement de la teigne du poireau (Acrolepiopsis assectella)

Contexte

La teigne du poireau (Acrolepiopsis assectella) (figure 1) est un ravageur envahissant introduit d'Europe qui attaque l'oignon, le poireau et l'ail. Les chenilles infligent des dommages en pénétrant dans les jeunes feuilles et les fleurs des plantes hôtes pour s'y nourrir (figure 2). Les dommages causés par l'alimentation des chenilles affaiblissent la plante et provoquent son flétrissement, réduisant ainsi sa valeur et même, dans certains cas, rendant la récolte invendable. Depuis sa découverte dans l'est de l'Ontario en 1993 et au Québec en 2001, la teigne du poireau a rapidement étendu son aire de répartition au point où sa présence a été signalée en 2013 aussi loin des foyers d'infestation initiaux que le sud-ouest de l'Ontario, l'Île-du-Prince-Édouard et l'État de New York.

Au cours des dix dernières années, le programme de réduction des risques liés aux pesticides du Centre de lutte antiparasitaire d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) a financé plusieurs projets de recherche axés sur l'élaboration d'une stratégie de lutte intégrée contre ce nouveau ravageur. Ces projets incluaient des études sur le terrain et en laboratoire de la biologie du ravageur, une évaluation du potentiel du parasitoïde introduit Diadromus pulchellus à titre d'agent de lutte biologique et une évaluation d'autres outils de réduction des risques comme les biopesticides et les minitunnels. Une approche de recherche misant sur la participation active d'agriculteurs locaux a été mise en place, permettant la tenue d'activités de recherche et de développement parallèlement au transfert technologique. La présente fiche d'information décrit brièvement les outils élaborés dans le cadre des travaux financés par le programme.

Établissement d'une base de connaissances sur le cycle vital de la teigne du poireau au Canada

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Figure 2 : Dommages infligés à des feuilles d'ail par la chenille de la teigne du poireau

La teigne du poireau étant tout récemment établie au Canada, les recherches ont d'abord été axées sur la caractérisation de son cycle vital sous les conditions prévalant dans l'est de l'Ontario. Les chercheurs ont déployé des pièges à phéromone pour déterminer les périodes de vol et l'abondance des adultes durant la saison de croissance et ont eu recours à des méthodes d'échantillonnage de plantes destructives pour estimer l'abondance des chenilles et des chrysalides au champ. Ils ont également examiné visuellement les hampes et les bulbes d'ail pour estimer l'ampleur des dommages infligés aux produits commercialisables.

Il a été démontré que le ravageur a besoin de 441,7 degrés-jours pour boucler son développement de l'oeuf à l'adulte au Canada. Les données de piégeage avec phéromone ont révélé que la teigne du poireau présente trois périodes de vol dans la région d'Ottawa, la première au printemps (adultes qui ont hiberné), la deuxième en début d'été (adultes de la première génération) et la troisième à la fin de l'été (adultes de la deuxième génération). Des études additionnelles du développement ont confirmé que la teigne du poireau connaît trois générations par année au Canada. Selon les températures ambiantes, le cycle vital peut s'échelonner sur une période de trois à six semaines.

Développement d'une trousse d'outils de lutte intégrée

Divers outils de lutte contre la teigne du poireau ont été mis au point et évalués durant cette période de dix ans. Collectivement, ces outils forment une approche de lutte intégrée à risque réduit à plusieurs volets contre le ravageur.

Outils d'aide à la décision : système de surveillance

Pour aider les agriculteurs à prendre des décisions éclairées en matière de lutte antiparasitaire, les chercheurs ont mis au point un système de surveillance des populations de teigne du poireau utilisant conjointement des pièges à phéromone, des données de température et des données sur le développement du ravageur (figure 3). Ce système aide les agriculteurs et les spécialistes des cultures à prévoir le moment où le ravageur sera présent au champ à différents stades de son développement et à appliquer, le cas échéant, les traitements antiparasitaires ciblés et efficaces qui s'imposent.

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Figure 3a) piège à phéromone à fond recouvert d'une plaquette engluée et position de l'appât dans le piège

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Figure 3b) carnet d'enregistrement des données

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Figure 3c) plaquette engluée jonchée de teignes du poireau

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Figure 3d) étiquette indiquant la localité d'échantillonnage et la date du retrait de la plaquette engluée

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Figure 3e) thermomètre à minimum et maximum

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Figure 3f) thermomètre électronique à minimum et maximum

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Figure 3g) appât de phéromone

 
Figure 3 : Matériel requis pour surveiller les populations de la teigne du poireau et déterminer les stades de développement présents dans les cultures

Barrières physiques : minitunnels

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Figure 4 : Minitunnels dans un champ d'ail

En empêchant physiquement les femelles de déposer leurs oeufs sur les plantes (figure 4), les minitunnels ont réduit les dommages infligés par le ravageur tout aussi efficacement que les pesticides. Des expériences au champ ont révélé que les minitunnels permettaient de réduire de façon significative le nombre de plants endommagés par le ravageur. Certaines années, aucun dommage n'a été observé parmi les plants cultivés sous minitunnel.

Produits de lutte antiparasitaires : biopesticides

L'efficacité de divers produits à risque réduit pour la lutte contre la teigne du poireau a été évaluée dans le cadre d'expériences en laboratoire et, subséquemment, d'essais au champ. Des études dose-réponse ont confirmé l'efficacité des produits à base de spinosad et de Bacillus thuringiensis var. kurstaki (Btk). Au champ, le produit à base de spinosad a permis de réduire davantage les effectifs larvaires du ravageur et l'ampleur des dommages que le produit à base de Btk. Les deux produits sont maintenant homologués pour la lutte contre la teigne du poireau. Le programme des pesticides à usage limité du Centre de lutte antiparasitaire a contribué à l'homologation de plusieurs produits à base de spinosad.

Agent de lutte biologique : Diadromus pulchellus

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Figure 5 : Diadromus pulchellus attaquant une chrysalide de teigne du poireau
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Figure 6 : Exemple de cage d'élevage utilisée aux fins des lâchers au champ du D. pulchellus
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Figure 7 : Agriculteur collaborateur relâchant des D. pulchellus

Comme le taux de parasitisme de fond était faible parmi les populations de teigne du poireau dans la région d'Ottawa, il est apparu évident qu'il fallait relâcher un ennemi naturel plus efficace présentant une plus grande spécificité à l'égard de l'hôte. En 2004-2006, des études préliminaires réalisées par des chercheurs du CABI en Suisse ont mené à la découverte du Diadromus pulchellus, guêpe parasitoïde dont le développement est bien synchronisé avec celui de la teigne du poireau et qui, parmi tous les ennemis naturels étudiés, a causé la plus forte mortalité chez le ravageur (figure 5). Des données issues de documents de recherche ont révélé que ce parasitoïde était spécifique à la teigne du poireau, ce qui en faisait un candidat idéal à une évaluation plus poussée. Une évaluation approfondie de la gamme d'hôtes du D. pulchellus effectuée en 2006-2007 en Europe et dans des installations de confinement au Canada ont confirmé que ce parasitoïde pouvait être introduit sans danger au Canada. Une demande d'autorisation de dissémination a été soumise à l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA), et une fois l'autorisation réglementaire demandée accordée par l'Agence à l'automne 2009, les lâchers du D. pulchellus ont débuté en 2010.

Le parasitoïde D. pulchellus a été élevé en laboratoire et relâché à quatre endroits dans la vallée de l'Outaouais (figure 6). Plus de 10 000 adultes ont été relâchés entre 2010 et 2012 entre le moment de l'émergence de la première génération et la fin de la saison (figure 7). Les taux de récupération observés subséquemment ont confirmé que le D. pulchellus a bouclé au moins une génération sur le terrain au cours de chacune des années de l'étude. Des descendants des individus relâchés l'année précédente ont également été capturés au cours du printemps suivant, ce qui démontre que le D. pulchellus est capable d'hiberner avec succès dans l'est de l'Ontario et qu'une population est établie localement dans la région. Des taux de parasitisme de près de 50 % peuvent être atteints immédiatement si le parasitoïde est présent en nombre suffisant. Le lâcher et l'établissement de cet agent de lutte biologique procureront aux agriculteurs une option de lutte à long terme contre la teigne du poireau.

Mise au point d'une approche de lutte intégrée

En utilisant les outils de surveillance mis au point à leur intention (données de piégeage à phéromone, données de température de l'air ambiant et modèle du cycle vital), les agriculteurs peuvent déterminer quand les teignes du poireau adultes sont présentes et pondent leurs oeufs et estimer quand les oeufs vont éclore et les chenilles de la première génération vont forer leurs mines dans les plantes hôtes. Ils sont dès lors en mesure d'intervenir au moment où les outils mis à leur disposition sont les plus efficaces. Les minitunnels doivent être installés au-dessus des cultures avant l'émergence des adultes, de manière à empêcher les femelles de déposer leurs oeufs sur les plantes. Les agriculteurs peuvent se fonder sur un graphique de l'activité de vol en fonction de la température pour déterminer la période durant laquelle les applications de biopesticides seront les plus efficaces, ces produits devant être appliqués avant que les chenilles commencent à miner les plantes hôtes. En se fondant sur les informations amassées sur le cycle vital du ravageur, ils peuvent déterminer à quel moment les chrysalides et, en conséquence, le D. pulchellus sont présents au champ et ainsi éviter d'appliquer des insecticides chimiques potentiellement nocifs pour le parasitoïde.

Transfert des connaissances et de la technologie – Participation des producteurs

La participation des agriculteurs dès le début de l'étude et leur collaboration à toutes les étapes subséquentes ont joué un rôle déterminant dans la réussite du projet. Des agriculteurs locaux ont été invités à participer au projet à titre de collaborateurs dans le cadre d'une approche participative. Après une visite initiale visant à expliquer le projet et adapter le modèle expérimental aux besoins individuels, ils ont été invités à prendre part à des visites régulières sur place et à des discussions durant chaque campagne sur le terrain. Des rapports complets ont été partagés, et des réunions annuelles ont été organisées avec chaque participant pour examiner les résultats de l'année précédente et planifier la prochaine campagne sur le terrain. Lors d'un sondage réalisé à la fin du projet, les agriculteurs collaborateurs se sont dit très heureux d'avoir eu l'occasion de participer à l'étude et ont affirmé avoir tiré profit de leurs échanges réguliers avec les chercheurs et les spécialistes des cultures provinciaux.

Le transfert des connaissances aux producteurs a été effectué par l'entremise d'ateliers organisés en collaboration avec des partenaires provinciaux, de fiches d'information et de documents à distribuer (figure 8), ainsi que par l'approche de recherche participative elle-même.

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Figure 8 : Exemple de disposition d'une fiche d'information sur la teigne du poireau qui montrant des outils de lutte intégrée, avec des images d'insectes et divers points (non destiné à être lisible)
 

Grâce à ce projet, les producteurs d'oignon, de poireau et d'ail disposent maintenant de pratiques de rechange et de produits à risque réduit pour lutter contre la teigne du poireau dans leurs cultures. Ces pratiques à risque réduit leur permettront de continuer d'offrir des produits de haute qualité dans le respect de l'environnement.

Remerciements : La collaboration et la participation de nombreux spécialistes de la lutte antiparasitaire ont joué un rôle déterminant dans la réussite de ce projet. Les travaux dont il est ici fait mention ont été réalisés sous la direction de Peter Mason (Ph.D.), chercheur scientifique à AAC, et d'Andrea Brauner et de Jacob Miall, en collaboration avec les spécialistes des cultures Margaret Appleby, Jennifer Allen (Ph.D.) et Marion Paibomesai (Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales Ontario), Naomi Cappuccino (Ph.D.) (Carleton University) et Wade Jenner (Ph.D.) et Ulrich Kuhlmann (Ph.D.) (centre de recherche du CABI en Suisse).

Coordonnées

Pour de plus amples renseignements sur ce projet : Peter Mason, Ph.D.

Au sujet du Programme de réduction des risques liés aux pesticides d'Agriculture et Agroalimentaire Canada

L'équipe de réduction des risques liés aux pesticides offre aux producteurs canadiens des solutions viables pour réduire les risques liés aux pesticides dans l'industrie agricole et agroalimentaire. L'équipe accomplit cet objectif en finançant des projets de lutte intégrée et en coordonnant des stratégies de réduction des risques liés aux pesticides élaborées en consultation avec les intervenants et les experts en lutte antiparasitaire. D'autres fiches d'information sur la protection durable des cultures sont disponibles. Pour plus d'informations, veuillez visiter le Centre de la lutte antiparasitaire.