Nouveau biofongicide contre la fusariose de l'épi du blé

Contexte

La fusariose de l’épi (figure 1), causée par le Fusarium graminearum, est la plus sérieuse maladie du blé en Amérique du Nord, occasionnant des pertes de plus d’un milliard de dollars aux industries de blé. Le pathogène peut aussi provoquer une infection grave chez d’autres cultures cultivées au Canada, dont l’orge, l’avoine, le seigle, le maïs, l’alpiste et diverses graminées fourragères. La fusariose de l’épi est présente chez le blé depuis de nombreuses années dans l’Est du Canada et dans les provinces des Prairies, où elle réduit le rendement et la qualité du grain. Le pathogène produit par ailleurs du désoxynivalénol (DON) et d’autres mycotoxines; lorsque le grain est contaminé par ces substances, le bétail en consomme moins et a un gain de poids réduit, la farine est de moins bonne qualité boulangère, et il y a des risques pour la salubrité des aliments.

Jusqu’à présent, la principale stratégie employée contre la fusariose consiste à appliquer des fongicides chimiques. Il serait donc intéressant de mettre au point, contre la fusariose de l’épi, une stratégie plus durable reposant sur l’intégration de plusieurs approches, dont l’emploi de biopesticides. Des chercheurs de la Direction générale de la science et technologie d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) travaillent depuis plusieurs années à l’étude et à la mise au point de solutions durables de lutte intégrée contre la fusariose. En 2009, le Programme de réduction des risques liés aux pesticides (PRRP) du Centre de la lutte antiparasitaire (CLA) d’AAC a créé un groupe de travail sur la fusariose de l’épi. Par la suite, le PRRP a appuyé plusieurs projets visant à combattre la fusariose par des méthodes à risque réduit, comme les outils d’aide à la décision et les pratiques de gestion des cultures permettant de réduire la pression de la maladie. Pour élargir la gamme des moyens de lutte à risque réduit, le groupe de travail a également appuyé la mise au point de biopesticides prometteurs pouvant être intégrés aux stratégies de lutte contre la fusariose dans les exploitations agricoles biologiques et non biologiques.

Figure 1.

Photomontage présentant des champs de blé infectés, des grappes de glumes infectées et des grains infectés en comparaison avec des grains sains

Symptômes de la fusariose de l'épi : A et B – décoloration au champ des épillets de blé; C – spore clusters du pathogène sur des glumes infectées (rose); D – grains fusariés (à droite), paraissant ratatinés et blanchâtres par rapport aux grains sains.

Un nouveau biopesticide, la souche ACM 941 du Clonostachys rosea

La souche ACM 941 du Clonostachys rosea a été découverte par un chercheur d’AAC, Allen Xue, dans des feuilles de pois de grande culture provenant du Manitoba. Ce champignon mycoparasite (figure 2 A-C) procure une protection contre plusieurs pathogènes, dont le Fusarium graminearum. Il provoque chez les champignons pathogènes une série de changements physiologiques et inhibe notamment leur croissance, en s’enroulant sur leurs hyphes et en y pénétrant (figure 2 D-F). La souche ACM 941 empêche également la formation de périthèces chez le Gibberella zeae, forme sexuée du F. graminearum apparaissant sur les résidus de blé, de maïs et de soja; l’ACM 941 aide ainsi à réduire la charge d’inoculum pour l’année suivante.

Figure 2.

Photomontage présentant une plaque à culture, un tube à essai et des images obtenues par microscopie de l'ACM 941.

A Culture de Clonostachys rosea ACM 941; B – double culture de Fusarium graminearum (à gauche) et d’ACM 941 (à droite); C – préparation commerciale d’ACM 941; D-F – activité parasitaire de l’ACM 941 chez quelques champignons pathogènes; G – conidiophore et conidies de l’ACM 941.

Plusieurs intervenants se concertent pour faire de cette découverte prometteuse un produit viable

Depuis 2007, le PRRP travaille avec Allen Xue, Ph.D., à obtenir l’homologation et la mise en marché de ce nouveau produit de lutte contre la fusariose de l’épi. Cet effort exige une étroite collaboration entre les chercheurs d’AAC, le Bureau de la propriété intellectuelle et de la commercialisation d’AAC, les coordonnateurs du PRRP en matière de stratégies et de biopesticides, les développeurs de préparations commerciales de l’Université Cornell, l’entreprise chargée de fabriquer le produit, les experts des gouvernements provinciaux, les représentants des producteurs agricoles ainsi que les fonctionnaires responsables de l’homologation des pesticides à l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada et à l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis.

Ce travail de collaboration visant à faire de l’ACM 941 un biopesticide viable a été réalisé en plusieurs étapes :

  • Des essais sur l’efficacité de l’ACM 941 et de ses préparations ont été réalisés conformément aux indications des spécialistes de l’ARLA, par des équipes réunissant des scientifiques d’AAC, des chercheurs de l’Université Cornell et des représentants de l’entreprise chargée de fabriquer le produit, avec l’appui financier du PRRP.
  • Ces travaux ont permis d’élaborer et de mettre à l’essai cinq prototypes de préparation commerciale, puis les producteurs et autres intervenants ont retenu la plus prometteuse de ces préparations comme solution prioritaire contre la fusariose de l’épi, dans le cadre du premier Atelier sur l’établissement des priorités en matière de biopesticides, tenu en 2010.
  • Le CLA facilite la présentation d’une demande conjointe d’homologation de l’ACM 941, auprès de l’EPA des É.-U. et de l’ARLA, qui ont elles-mêmes fourni des conseils, dans le cadre du processus conjoint Canada - États-Unis de consultation préalable. Le CLA fournit de l’aide et des conseils au demandeur d’homologation pour la préparation des données requises aux termes de la réglementation.

Résultats des essais d'efficacité au champ et en serre

Des études ont permis d’évaluer l’efficacité de l’ACM 941 et de préciser la gamme de doses pouvant être employées (figure 3). Elles ont également permis d’observer l’effet de diverses méthodes d’application et de leur intégration à d’autres techniques de lutte, dont l’utilisation de variétés de blé résistantes à la fusariose.

Plusieurs essais ont ainsi été menés, dont voici les principaux résultats :

  • l’ACM 941 réduit significativement le taux de fusariose, selon au moins un des paramètres mesurés;
  • en général, l’ACM 941 est d’autant plus efficace que sa concentration est élevée, la concentration maximale de 108 UFC/ml s’étant révélée aussi efficace que le fongicide chimique commercial Folicur (tableau 1);
  • l’application en alternance d’ACM 941 et de Folicur s’est avérée significativement plus efficace que deux applications d’ACM 941 seulement, et aussi efficace que les deux applications de Folicur constituant la norme de l’industrie, et elle réduit significativement la teneur du grain en désoxynivalénol (DON) (tableau 2);
  • l’ACM 941 a été plus efficace contre la fusariose de l’épi chez les cultivars de blé les plus résistants à la maladie que chez les cultivars sensibles.

Figure 3.

Photomontage présentant la culture en pots dans une serre, un technicien procédant à l'application de l'ACM 941 dans un champ et des parcelles d'essai dans un champ

Essais visant à établir l’efficacité de la souche ACM 941 du Clonostachys rosea et la tolérance de la plante traitée lorsque l’ACM 941 est employé contre la fusariose de l’épi dans une culture de blé : A – essai en serre montrant la suppression de la fusariose chez les plantes traitées à l’ACM 941 (rang de gauche) par rapport aux plantes non traitées (rang du centre) et aux plantes traitées au Folicur (rang de droite); B – application de l’ACM 941 dans les essais au champ; C – parcelles d’essai visant à évaluer la performance de l’ACM 941 contre la maladie.

Les résultats détaillés sont présentés dans les tableaux 1 et 2.

Tableau 1. Évaluation en serre et au champ de l'efficacité de la souche ACM 941 du Clonostachys rosea contre la fusariose de l'épi chez le blé†

Produit Dose (UFC/ml) Réduction de la SSCPM (%) Réduction du TGF (%) Augmentation du rendement (%) Réduction de la teneur en DON (%)  
†SSCPM = surface sous la courbe de progression de la maladie; TGF = taux de grains fusariés; DON = désoxynivalénol (mycotoxine). Les pourcentages d'augmentation du rendement ainsi que de réduction de la SSCPM, du TGF et de la teneur du grain en DON ont été calculés par rapport aux parcelles non traitées.
ACM 941 10,000 20,3 37,8 48,0 10,6 En serre 2009
ACM 941 100,000 20,3 47,0 41,0 44,7 En serre 2009
ACM 941 10,000,000 57,1 57,9 80,8 65,7 En serre 2009
ACM 941 100,000,000 79,1 91,0 85,8 90,4 En serre 2009
Folicur (0,292 L/L) 67,2 90,0 84,7 94,2 En serre 2009
ACM 941 100,000 15,5 18,1 57,3 En serre 2010
ACM 941 1,000,000 27,1 40,8 68,4 En serre 2010
ACM 941 3,000,000 34,0 33,6 68,4 8,8 En serre 2010
ACM 941 10,000,000 73,8 74,4 86,7 78,5 En serre 2010
ACM 941 100,000,000 83,2 91,6 88,1 95,1 En serre 2010
Folicur (0,292 L/L) 95,3 96,1 92,6 92,8 En serre 2010
ACM 941 10,000 16,2 30,9 1,7 26,5 Au champ 2009
ACM 941 100,000 20,5 19,8 26,9 Au champ 2009
ACM 941 10,000,000 31,2 28,6 34,7 Au champ 2009
ACM 941 100,000,000 43,3 43,2 7,0 28,7 Au champ 2009
Folicur (0,292 L/L) 44,1 50,1 16,6 51,3 Au champ 2009
ACM 941 1,000,000 27,9 25,0 24,8 Au champ 2010
ACM 941 30,000,000 29,6 30,7 25,3 Au champ 2010
ACM 941 100,000,000 27,9 38,5 32,5 Au champ 2010
Folicur (0,292 L/L) 40,3 39,8 21,4 Au champ 2010

Tableau 2. Évaluation au champ de l'efficacité de l'application en alternance de Folicur et de la souche ACM 941 du Clonostachys rosea contre la fusariose de l'épi chez le blé†

Traitement Réduction de la SSCPM (%) Réduction du TEI (%) Réduction du TGF (%) Réduction de la teneur en DON (%)
†SSCPM = surface sous la courbe de progression de la maladie; TEI = taux d'épillets infectés; TGF = taux de grains fusariés; DON = désoxynivalénol. Les pourcentages de réduction de la SSCPM, du TEI, du TGF et de la teneur du grain en DON ont été calculés par rapport aux parcelles non traitées.
ACM 941 + ACM 941 26,1 28,3 41,0 4,4
ACM 941 + Folicur 67,0 91,6 62,6 64,8
Folicur + Folicur 70,5 92,6 59,0 56,0

Les résultats de ces divers essais montrent que l'ACM 941 pourrait jouer un rôle important au sein d'une stratégie de lutte intégrant plusieurs approches, dont l'emploi de cultivars résistants, un cycle de rotation des cultures réduisant l'accumulation d'inoculum et l'application ciblée de fongicides chimiques. L'application en alternance d'ACM 941 et de Folicur permet de réduire de 50 % la quantité de pesticide chimique rejetée dans l'environnement et pourrait atténuer le risque d'apparition d'une résistance au Folicur chez le pathogène. De plus, l'ACM 941 est prometteur comme fongicide utilisable en agriculture biologique, car il sera probablement jugé acceptable pour les systèmes de production biologique.

Commercialisation

L'ACM 941 utilisé dans les essais au champ et en serre a été produit de manière économique et selon des normes rigoureuses, dans des installations commerciales de fermentation microbienne à des fins agricoles (figure 4), en vue d'essais au champ et en serre.

Figure 4.

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Description Figure 4

Installations commerciales de fermentation microbienne à des fins agricoles où la souche ACM 941 du Clonostachys rosea a été produite en quantité suffisante pour des essais au champ à grande échelle.

Plusieurs entreprises sont en train d'évaluer la technologie. Au cours de 2013, ces entreprises pourront présenter à AAC une proposition de partenariat commercial comportant une licence d'utilisation de la technologie.

Étapes à venir

Le Programme de réduction des risques liés aux pesticides continuera d’appuyer les projets visant à déterminer quelle approche est la plus efficace pour l’utilisation du produit à la ferme.

Par ailleurs, une compagnie se qualifiant comme titulaire préparera une trousse de demande d’homologation, avec l’aide du CLA, en vue d’un examen conjoint de la demande par les autorités réglementaires du Canada et des États-Unis.

Une fois que le produit sera homologué au Canada, des essais de démonstration à la ferme et d’autres activités de sensibilisation seront réalisés à l’intention des producteurs, dans l’espoir qu’ils accueilleront favorablement ce nouveau produit à risque réduit, dans le cadre d’une stratégie durable de lutte intégrée.

Nous tenons à remercier de leur participation les nombreux intervenants. Grâce à eux, la transformation de la découverte d’AAC en un moyen de lutte efficace et durable progresse bien, et le produit sera bientôt offert aux producteurs canadiens.

Pour plus de détails sur les recherches sur l’ACM 941, veuillez contacter Allen Xue, d’AAC. Pour les questions ayant trait à la commercialisation du produit, veuillez écrire au Bureau de la propriété intellectuelle et de la commercialisation d’AAC ou au Programme de réduction des risques liés aux pesticides du CLA d’AAC.

Au sujet du Programme de réduction des risques liés aux pesticides d'Agriculture et Agroalimentaire Canada

L'équipe de réduction des risques liés aux pesticides offre aux producteurs canadiens des solutions viables pour réduire les risques liés aux pesticides dans l'industrie agricole et agroalimentaire. L'équipe accomplit cet objectif en finançant des projets de lutte intégrée et en coordonnant des stratégies de réduction des risques liés aux pesticides élaborées en consultation avec les intervenants et les experts en lutte antiparasitaire. D'autres fiches d'information sur la protection durable des cultures sont disponibles. Pour plus d'informations, veuillez visiter le Centre de la lutte antiparasitaire.