Arrivée de deux produits de lutte contre les acariens au Canada pour la protection de nos abeilles mellifères

Nous étions en 2020, et pour la deuxième année consécutive, les apiculteurs canadiens recevaient encore un autre biopesticide pour protéger les abeilles mellifères contre un acarien mortel. L’arrivée du biopesticide a commencé six ans plus tôt, en 2014, quand le Centre de la lutte antiparasitaire (CLA) a tenu son atelier annuel pour déterminer ses priorités pour l’année à venir.

Mais tout d’abord, voici un peu de contexte.

La population d’abeilles mellifères aux États‑Unis et au Canada a connu une crise au milieu des années 2000. Des apiculteurs perplexes découvraient que leurs abeilles ouvrières avaient disparu pendant l’hiver, laissant derrière elles la reine, du miel en abondance et trop peu de jeunes abeilles pour assurer la survie de la colonie. Sans les abeilles ouvrières, la colonie vide mourait.

Bien qu’il faille s’attendre à la disparition de certaines colonies, surtout au cours de l’hiver, au plus fort de la crise, les apiculteurs commerciaux ont déclaré avoir perdu jusqu’à 30 à 90 % de leurs colonies d’abeilles. Les scientifiques ont même inventé une expression pour décrire ce phénomène : le syndrome d’effondrement des colonies.

En 2014, au moment où notre histoire commence, les pertes de colonies d’abeilles mellifères au Canada au cours de l’hiver s’élevaient à 25 %, soit bien plus que le seuil de 15 % en deçà duquel les apiculteurs peuvent facilement se réapprovisionner.

Aucun facteur unique ne pouvait être désigné comme cause de la perte de ces abeilles mellifères. Mais le varroa (Varroa destructor ), un acarien, faisait partie des principaux coupables.

Ce minuscule parasite d’un rouge brunâtre s’est répandu dans tous les pays du monde, sauf en Australie et en Antarctique. Au Canada, il a fait son apparition dans toutes les provinces, sauf à Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

L’acarien se nourrit des abeilles mellifères en perçant la cuticule de l’abeille et en maintenant la plaie ouverte avec ses mâchoires latérales. Cela affaiblit l’abeille et lui transmet des virus qui, sans traitement, peuvent anéantir des colonies entières d’abeilles en l’espace d’un an.

En 2014, les apiculteurs canadiens ont subi d’énormes pertes financières, soit environ 202 millions de dollars. Cependant, la menace que représentait la perte des populations d’abeilles mellifères pour notre sécurité alimentaire était encore plus troublante.

En effet, près des trois quarts des végétaux que nous consommons dépendent de la pollinisation par les abeilles mellifères, un service qui a été évalué à plus de 2 milliards de dollars par an.

Ce problème ne se limite pas au Canada.

La santé de nos abeilles mellifères a une incidence sur l’approvisionnement alimentaire mondial puisque, avec les États‑Unis et le Mexique, nous sommes l’une des plus grandes régions exportatrices de produits alimentaires au monde.

Les apiculteurs à la recherche de solutions de traitement

À l’époque, les apiculteurs avaient largement recours aux produits chimiques de synthèse, en particulier à un acaricide dont l’ingrédient actif est l’amitraze. Or, les acariens développaient une résistance à ce produit chimique, ce qui posait problème.

Les apiculteurs ont naturellement voulu trouver d’autres solutions. Ils ont choisi ApiLife Var, un traitement à base d’huiles essentielles approuvé par les États‑Unis, dont les ingrédients de base sont le camphre, l’huile d’eucalyptus, le menthol et le thymol. ApiLife Var retenait l’attention, car il permettait d’obtenir de meilleurs taux de survie des abeilles au cours de l’hiver que d’autres traitements naturels contre le varroa.

Toutefois, avec environ 675 000 colonies d’abeilles au Canada (comparativement aux 2,64 millions de colonies aux États‑Unis), l’utilisation réelle d’un biopesticide au pays se ferait à petite échelle. Par conséquent, quand venait le temps d’homologuer leurs produits, les entreprises avaient tendance à concentrer leurs efforts sur le marché américain, qui est plus important.

C’est à peu près à ce moment‑là que le gouvernement fédéral est intervenu, en formant la Table ronde sur la santé des abeilles, une coalition d’intervenants composée d’associations d’apiculteurs et de producteurs de semences, de céréales, de canola et de cultures horticoles. Des associations pour lesquelles la santé des abeilles présente un intérêt direct.

L’une des premières priorités de la coalition était la lutte contre le varroa, un parasite.

C’est ici que le CLA entre en jeu.

Non seulement il est représenté au sein de la Table ronde sur la santé des abeilles, mais il organise chaque année en mars un atelier sur l’établissement des priorités en matière de biopesticides et de pesticides à usage limité.

Sachant cela, la Table ronde a demandé à Agriculture et Agroalimentaire Canada de faire de l’homologation d’un nouveau produit de lutte contre le varroa une priorité lors de l’atelier annuel du CLA.

Parallèlement, certains apiculteurs ont demandé l’aide des coordonnateurs provinciaux du Programme des pesticides à usage limité (PPUL) de leur province. Ils leur ont parlé du déclin de leurs populations d’abeilles et du succès d’ApiLife Var dans la lutte contre les infestations de varroa.

Les coordonnateurs provinciaux du PPUL ont parlé d’ApiLife Var lors de l’atelier annuel des intervenants du CLA en 2014.

Après une analyse de la valeur du produit, les intervenants ont convenu que le CLA devait consacrer ses ressources hautement spécialisées, mais limitées à l’homologation d’ApiLife Var au Canada.

Tobias Laengle, biologiste principal au sein de l’équipe de réduction des risques liés aux pesticides du CLA, explique que « les services de pollinisation des abeilles sont extrêmement importants pour la sécurité alimentaire. Si nous n’avons pas de pollinisateurs, nous n’avons pas de pollinisation des fruits et légumes ».

Deux nouveaux produits de lutte antiparasitaire franchissent la ligne d’arrivée

L’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) prend généralement environ deux ans pour évaluer si un biopesticide peut être homologué aux fins d’utilisation au Canada. Si on y ajoute le temps dont le CLA a besoin pour examiner les données de l’entreprise et élaborer un dossier répondant aux exigences réglementaires de l’ARLA, l’ensemble du processus peut prendre de trois à cinq ans.

Donc, même si ApiLife Var était envisagé, les coordonnateurs provinciaux du PPUL ont participé au prochain atelier du CLA en 2015 afin de trouver d’autres moyens d’aider les apiculteurs. Cette fois, ils se sont fixé comme priorité de faire homologuer HopGuard II pour la lutte contre le varroa. Comme son nom l’indique, l’ingrédient actif de ce produit sont des acides bêta de houblon, le même houblon utilisé pour aromatiser la bière.

Le CLA n’a pas l’habitude de se pencher deux années de suite sur deux produits pour lutter contre le même organisme nuisible, mais les arguments en faveur d’une exception étaient irréfutables.

Comme l’explique M. Laengle, l’objectif consiste à choisir des produits qui profiteront au plus grand nombre de producteurs possible. « En raison de la pertinence et de l’importance des abeilles, il était évident que cela était nécessaire. Les apiculteurs doivent disposer de plusieurs options pour lutter contre le varroa. Même si ces produits ne servent qu’à une chose, soit la lutte contre le varroa chez les abeilles, ils profitent à un large éventail de cultures de fruits et légumes. »

M. Laengle et ses collègues de l’équipe de réduction des risques liés aux pesticides ont donc donné leur appui réglementaire aux deux entreprises de biopesticides.

Pour aider les entreprises à satisfaire aux exigences scientifiques et réglementaires de l’ARLA, ils ont recueilli, analysé et synthétisé des données sur l’innocuité de ces produits, non seulement pour les abeilles, mais aussi pour les consommateurs et l’environnement. Ils se sont aussi assurés que les données probantes démontrant l’efficacité des produits contre le varroa étaient solides.

C’est ainsi qu’en 2019, l’ARLA a annoncé l’homologation du HopGuard II.

En octobre 2020, ApiLife Var a également été homologué pour son utilisation au Canada.

Un rôle dans la chaîne alimentaire du Canada

Les apiculteurs ont désormais plus d’outils pour lutter contre un acarien mortel qui se nourrit des abeilles et vit sur celles‑ci, menaçant les services de pollinisation qu’elles fournissent et compromettant notre approvisionnement alimentaire.

C’est cette menace pour la sécurité alimentaire qui explique pourquoi le mandat du CLA d’aider les producteurs canadiens à protéger leurs cultures contre les mauvaises herbes, les maladies et les ravageurs est si important.

Cela a conduit le CLA à s’atteler à la tâche de sauver les abeilles mellifères, en plus d’assurer aux Canadiens et à nos partenaires commerciaux un approvisionnement continu de nombreuses cultures vivrières, comme les fruits et légumes.

C’est d’ailleurs pour cette raison que l’ONU a déclaré 2021 Année internationale des fruits et des légumes. Cette année est l’occasion de sensibiliser les gens à ce que nous savons déjà au CLA : la protection des végétaux et des pollinisateurs dont ceux‑ci dépendent joue un rôle important dans « la nutrition, la sécurité alimentaire et la santé humaines ».