Élaborer et valider un outil de calcul du seuil d’intervention dynamique pour lutter contre les pucerons nuisibles aux cultures de céréales dans les Prairies

Code de projet : PRR12-040

Chef de projet

Chrystel Olivier et Tyler Wist - Agriculture et Agroalimentaire Canada

Objectif

Mettre à la disposition des cultivateurs un seuil d’intervention dynamique (SID), dans le contexte des systèmes d’appui à la prise de décision pour la pulvérisation dans la lutte contre les pucerons nuisibles aux cultures de blé et d’orge, compte tenu du nombre fluctuant de pucerons et de leurs ennemis naturels

Sommaire de résultats

Contexte

Les pucerons posent périodiquement une grave menace pour la culture du blé, de l’avoine et de l’orge dans les Prairies canadiennes. Plusieurs espèces de pucerons sont connues pour leurs effets sur les cultures de céréales, par exemple le puceron des grains de céréales, Sitobion avenae, qui est particulièrement dommageable, car il se nourrit habituellement des épis de blé. Le rendement du blé peut être réduit de 20 à 30 % durant les infestations de pucerons. Les producteurs disposent actuellement d’un nombre limité de moyens de lutte, les insecticides diméthoate et malathion étant les seules options auxquelles ils ont accès pour lutter contre les pucerons dans les cultures de céréales. Cependant, ces produits à large spectre peuvent aussi entraîner la suppression des ennemis naturels des pucerons. Les parasitoïdes et les prédateurs qui se nourrissent de pucerons peuvent être nombreux dans les cultures de céréales et limiter les populations de pucerons, les empêchant ainsi d’atteindre ou de dépasser le seuil économique. En présence d’un nombre suffisant d’ennemis naturels dans les cultures, les pulvérisations chimiques peuvent ne pas être nécessaires.

Le seuil économique actuel pour activer un programme de pulvérisation contre les pucerons dans l’Ouest du Canada est de 12 à 15 pucerons par talle et ne tient pas compte de la mortalité des pucerons attribuable à leurs ennemis naturels. Les pucerons peuvent rapidement dépasser ce seuil en l’absence de moyens de lutte et peuvent causer une diminution du rendement de 35 à 40 %, selon le stade de la culture.

Ce projet vise à établir un nouveau seuil qui permettrait aux producteurs de tenir compte de la pression de lutte associée aux ennemis naturels lorsqu’ils prennent des décisions concernant la pulvérisation d’insecticides. Le but est de créer un outil semblable à l’outil de calcul du seuil d’intervention dynamique contre le puceron du soya, élaboré antérieurement pour les cultures de soja en Ontario.

Approches

Environ 20 à 40 champs de céréales (blé, orge et avoine) cultivés de façon classique ont été sélectionnés dans l’ensemble de la Saskatchewan et du Manitoba et ont fait l’objet de relevés au cours des saisons de culture 2012 et 2013. L’identité des espèces de pucerons et de leurs prédateurs et parasitoïdes potentiels ainsi que la densité des populations ont été déterminées dans les champs. Les momies (pucerons tués par la larve d’une guêpe parasitoïde et caractérisés par une peau brune ou noire tannée et enflée, attachée au substrat végétal) ont aussi été dénombrées et le taux de parasitisme a été estimé.

Deux méthodes d’échantillonnage des insectes, par prélèvement sur la plante entière et au moyen d’un filet fauchoir, ont été mises à l’essai pour évaluer leur efficacité à déterminer avec exactitude le nombre d’insectes dans les champs. Des échantillons recueillis sur des plantes entières et d’autres obtenus à l’aide d’un filet fauchoir ont été prélevés deux fois par semaine en 2012 et une fois par semaine en 2013. La première méthode consiste à ensacher et à prélever dix plantes entières par site. Soixante échantillons ont été prélevés par site et par date d’échantillonnage au moyen de filets. Le nombre d’épis échantillonnés par 60 coups de filet dans l’ensemble du champ a été estimé par rapport au nombre de talles échantillonnées aux fins de l’établissement du seuil économique, actuellement calculé en fonction du nombre de pucerons par talle. Les insectes capturés à tous les sites ont été identifiés et leur nombre moyen analysé pour chaque méthode d’échantillonnage.

Un modèle mathématique du seuil d’intervention dynamique (SID) a été conçu. Ce modèle tient compte de la pression de lutte totale associée à la prédation et au parasitisme naturels sur la croissance des populations de pucerons. Le modèle est fondé sur l’équation antérieure du SID décrivant les populations de puceron du soya (Aphis glycines) et de ses ennemis naturels dans les cultures de soja. Les modifications apportées comprennent l’intégration de données sur les taux d’augmentation des populations de pucerons des céréales et de consommation par leurs ennemis naturels. Les taux de voracité, exprimés en nombre de pucerons tués par des rédateurs et des parasites en 24 heures, ont été trouvés dans la documentation scientifique et intégrés au modèle du SID sous forme d’Unité d’Ennemi Naturel (1 UEN = nombre de chaque espèce d’ennemi naturel requis pour tuer 100 pucerons en 24 heures). Le rendement de ce modèle a été validé dans trois champs où les pucerons et leurs ennemis naturels étaient bien établis.

Résultats

Le puceron des grains de céréales (S. avenae) était la principale espèce de puceron présente dans les cultures céréalières au cours des deux années de l’étude. Deux autres espèces de puceron qui s’attaquent aux cultures de céréales, le puceron vert des graminées (Schizaphis graminum) et le puceron bicolore des céréales (Rhopalosiphum padi) étaient aussi présents, mais en nombre plus faible. Les prédateurs les plus nombreux des pucerons étaient des coccinelles, la coccinelle à sept points (Coccinella septempunctata) et la coccinelle à treize points (Hippodamia tredecimpunctata), ainsi que la chrysope verte (Chrysoperla carnea) et la chrysope aux yeux d’or (Chrysopa occulata). De minuscules punaises anthocorides (Orius tristicolor) et des nabidées (Nabis americoferus) étaient aussi présentes (au Manitoba) en moins grand nombre. Le taux de parasitisme des pucerons était faible dans l’ensemble des sites recensés, des spécimens adultes de Aphidius avenaphis, A. colemanni, Aphelinus varipes, A. asychis et A. alpibodus ayant été soit recueillis à l’aide d’un filet fauchoir, soit élevés à partir de momies de puceron. Dans l’ensemble, les ennemis naturels ont contribué à la suppression des populations de S. avenae dans les cultures de céréales.

La méthode d’échantillonnage des pucerons et de leurs ennemis naturels à l’aide d’un filet fauchoir s’est révélée plus efficace et a permis de capturer un plus grand nombre d’insectes de chaque espèce que la méthode d’échantillonnage de la plante entière. Toutefois, cette dernière était utile pour la détection des momies de puceron et la quantification du nombre de pucerons par plante. On a aussi établi que le seuil économique actuel (12-15 pucerons par talle) correspondait à 29 033 pucerons par 20 coups de filet.

Le nouveau modèle SID proposé pour les pucerons des cultures céréalières est conçu pour estimer les effets de tous les ennemis naturels présents dans le but de prédire leur impact sur la croissance des populations de pucerons en une semaine. Par exemple, le modèle SID prédit que le nombre de pucerons dépassera le seuil d’intervention économique en sept jours si 2 687 pucerons sont dénombrés en 20 coups de filet, en l’absence de pression de lutte exercée par des prédateurs ou des parasitoïdes. Des essais de validation ont indiqué que les prédictions du modèle correspondaient à la croissance réelle des populations de pucerons pendant toute la saison de culture. Cependant, le modèle semble surestimer la pression et le taux de mortalité des pucerons associés aux ennemis naturels aux premiers stades de l’infestation par les pucerons, en prédisant l’effondrement des populations de pucerons avant qu’il ne se produise réellement sur le terrain.

En règle générale, des traitements insecticides sont recommandés au seuil d’intervention lorsqu’il est prévu que les populations de pucerons dépasseront le seuil économique établi. Le modèle SID conçu dans le cadre du présent projet améliore le seuil d’intervention existant, car il tient compte de la capacité de lutte des ennemis naturels en prédisant ses effets sur la croissance des populations de pucerons. Par conséquent, ce SID recommande l’épandage de pesticides uniquement lorsque les populations de prédateurs et de parasitoïdes ne suffisent pas à empêcher les populations de pucerons d’atteindre le seuil économique.

Ce projet démontre qu’il est possible d’intégrer la lutte biologique à une approche de lutte intégrée contre les pucerons dans les cultures de céréales. Toutefois, de nouvelles recherches doivent être menées pour perfectionner davantage le modèle SID et en faire un outil pleinement viable et opérationnel pouvant aider les producteurs à prendre des décisions éclairées en matière de pulvérisation d’insecticides. On s’attend à ce que l’utilisation de cet outil aide à prévenir l’épandage inutile de pesticides lorsqu’il est non justifié, protégeant ainsi les insectes bénéfiques qui jouent un rôle important dans la lutte contre les pucerons.