Gestion de l'euphorbe ésule à l'aide d'un insecte prédateur

Phytoprotection Durable
Des résultats du Programme de réduction des risques liés aux pesticides

Au Canada, certains milieux naturels sont menacés par des plantes envahissantes qui sont habituellement introduites de l'étranger et qui ont prospéré en l'absence des herbivores indigènes de la région d'origine, qui en auraient normalement limité la propagation. L'euphorbe ésule (Euphorbia esula L.) compte parmi les espèces envahissantes les plus nuisibles. Originaire d'Europe, elle infeste maintenant environ deux millions d'hectares de prairies et d'habitats riverains en Amérique du Nord. L'espèce envahit les peuplements indigènes et produit une sève toxique pour les bovins. Il faut donc la combattre. L'emploi traditionnel d'herbicides comporte des inconvénients, notamment le coût élevé de l'application sur de grandes superficies et le caractère accidenté des espaces à traiter. De plus, l'emploi d'herbicides soulève des préoccupations environnementales à de nombreux endroits en raison de la proximité des zones infestées par l'euphorbe et des cours d'eau.

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L'euphorbe ésule retrouvé en milieu naturel en Alberta

Les scientifiques du centre de recherches d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) à Lethbridge (Alberta) ont mis au point une stratégie de lutte biologique classique contre cette plante nuisible. Cette approche comprend l'introduction, au Canada, d'insectes qui s'avèrent des ennemis naturels de l'euphorbe ésule dans leurs habitats d'origine en Europe. Les chercheurs visent ainsi à créer, dans l'écosystème canadien, un équilibre entre la mauvaise herbe et ses ennemis qui, au fil du temps, réduiront les peuplements de l'euphorbe à des niveaux acceptables.

On a relâché dans le milieu 14 insectes exotiques susceptibles de livrer bataille à l'euphorbe ésule. Ce sont cinq espèces d'altises du genre Aphthona qui ont donné les meilleurs résultats (Bourchier et coll, 2002) et plus particulièrement Aphthona lacertosa, qui a eu un impact majeur sur ce végétal dévastateur. Cette altise a été lâchée pour la première fois au Canada en 1991, après avoir subi une sélection intensive pour déterminer l'éventail de ses hôtes et s'assurer de sa spécificité à l'égard de la mauvaise herbe ciblée, soit l'euphorbe ésule. Les larves d'Aphthona lacertosa se nourrissent des racines de l'euphorbe, alors que les adultes, lorsqu'ils pullulent, consomment les parties aériennes de la plante, avant que celle‑ci ne produise des graines.

Dans le cadre de son Programme de réduction des risques liés aux pesticides, le Centre pour la lutte antiparasitaire d'Agriculture et Agroalimentaire Canada a financé des travaux de 2003 à 2007, en vue d'améliorer l'efficacité des lâchers de l'altise bénéfique et d'étendre l'aire de distribution des sites de lâcher dans les zones infestées d'euphorbes ésules.

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Coléoptère qui mange l'euphorbe ésulé

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Aphtona lacertosa adulte

 

L'approche

De 2004 à 2007, on a procédé à 125 lâchers d'Aphthona lacertosa. Par la suite, chaque année, les chercheurs ont évalué la densité des populations d'altises et les modifications de la végétation à chaque site de lâcher. Ils ont aussi consigné les conditions d'hivernage aux sites (couverture de neige, température de l'air, température à la surface du sol et température du sol) pour déterminer l'étendue des limites climatiques dans lesquelles les populations d'altises peuvent se développer dans la province.

L'information sur les sites, notamment les coordonnées technique de positionnement par satellites (GPS) et les attributs pour tous les lâchers réalisés dans le cadre de ce projet, a été consignée dans une base de données exhaustive sur les lâchers en Alberta. Cette base permet de procéder à une surveillance d'un site et d'évaluer les impacts à long terme des agents de lutte biologique sur les mauvaises herbes ciblées. De plus, toute l'information consignée sur les lâchers antérieurs d'agents de lutte biologique en Alberta a été saisie dans la base. Il est donc facile d'accéder à l'information sur plus de 1 200 lâchers d'une cinquantaine d'insectes ciblant 19 mauvaises herbes, dont l'euphorbe ésule. Les lâchers remontent jusqu'en 1965.

Pour accroître l'adoption d'Aphthona lacertosa comme agent de lutte biologique à l'intérieur d'une stratégie phytosanitaire contre l'euphorbe ésule, chaque année, les chercheurs ont ajouté de 10 à 15 sites de lâcher de démonstration, tant en zone urbaine que rurale. Ces lâchers ont eu lieu en interaction directe avec les propriétaires. Les chercheurs ont vérifié chaque site durant l'année suivant le lâcher afin d'évaluer l'établissement des altises et de formuler des recommandations concernant la surveillance ultérieure du site et la redistribution possible des insectes.

Avantages

Ce programme de lutte biologique comporte des avantages évidents :

  • Il s'autoperpétue et requiert peu de main-d'œuvre;
  • Il est aussi rentable pour le propriétaire, car il réduit les dépenses découlant de la lutte contre les mauvaises herbes dans des zones difficiles d'accès;
  • Il est respectueux de l'environnement et ne comporte pas de risques pour les habitats sensibles, notamment les cours d'eau vulnérables à une exposition aux produits chimiques.

La lutte biologique classique est durable et rentable. Les populations d'altises se renouvellent constamment et, lorsque ces insectes sont bien établis, ils se déplacent vers un nouveau site infesté par l'euphorbe ésule, et ce, sans intervention humaine. Éventuellement, on parvient ainsi à un équilibre écologique entre les altises et la plante hôte et à une diminution des peuplements d'euphorbes ésules à un niveau acceptable. Par contre, l'emploi d'herbicides chimiques contre l'euphorbe peut coûter aux propriétaires jusqu'à 1 000 $ l'hectare (coût de l'herbicide et de la main-d'œuvre) et exiger des pulvérisations répétées dans des zones à proximité de cours d'eau, où l'on ne peut utiliser que des herbicides moins rémanents.

La lutte biologique axée sur les altises atténue considérablement les risques liés aux résidus d'herbicides, qui peuvent persister dans le sol ou être lessivés dans les cours d'eau où ils peuvent exercer un impact indésirable sur les espèces indigènes. Les altises sont des insectes hautement spécifiques à leur hôte, l'euphorbe ésule. Elles ne nuiront donc pas à d'autres espèces végétales. Leur emploi permet donc le rétablissement et la conservation de la biodiversité végétale dans le milieu.

Les connaissances acquises durant cette étude ont permis d'améliorer la sélection des sites de lâcher d'Aphthona lacertosa de manière à favoriser la survie et la croissance des populations de l'insecte, à promouvoir la prolifération ultérieure de cette espèce bénéfique sur les terres privées et publiques et à réduire ainsi l'application de produits chimiques.

Pour de plus amples renseignements sur la lutte biologique contre l'euphorbe ésule, prière de s'adresser à Rob Bourchier, Ph. D..