Technologie de stérilisation des insectes : un moyen différent de lutter contre la mouche de l’oignon

Introduction

La mouche de l’oignon (Delia antiqua) est un insecte nuisible de première importance dans les cultures du genre Allium comme les oignons, les oignons verts et les échalotes. La mouche de l’oignon pond près des plants d’oignons. Après l’éclosion, les larves creusent des galeries dans les bulbes et endommagent ainsi les plants d’oignon (figure 1). Les options de lutte pour maîtriser efficacement ce ravageur sont limitées, car les produits antiparasitaires atteignent difficilement leur cible. De plus, les options de lutte chimique sont désormais plus restreintes par suite de récentes réévaluations réglementaires qui ont abouti à l’annulation d’homologations, de retraits progressifs et de restrictions de profils d’emplois de produits antiparasitaires autrefois utilisés. À ces enjeux s’ajoute le fait que le ravageur développe une résistance à certains ingrédients actifs. Par exemple, la lutte contre la mouche de l’oignon repose surtout sur l’application de chlorpyrifos dans la raie de semis et ce produit sera retiré progressivement en 2023. En outre, certaines populations de mouches de l’oignon montrent déjà des signes de résistance au chlorpyrifos et à d’autres matières actives ou présentent un risque accru de développement de résistance par suite de la réduction des options de lutte disponibles.

Les producteurs d’oignons recherchent d’autres options pour diversifier leur trousse d’outils et mieux contrôler ce ravageur et il existe des solutions de rechange. Par exemple, ces dernières années, la technique de la stérilisation des insectes (TSI) s’est avérée très prometteuse pour maintenir les populations de mouches de l’oignon à des niveaux gérables et pour réduire la nécessité d’appliquer des pesticides dans les champs d’oignons au Québec.

Lors de consultations menées auprès d’un groupe d’experts qui sont responsables de la Stratégie d’AAC de réduction des risques liés aux pesticides, les intervenants ont déterminé que la TSI constituait une solution de rechange valable pour protéger les cultures d’oignons et que cette technique méritait de faire l’objet d’un transfert technologique en Ontario pour soutenir les producteurs dans leurs efforts de lutte durable contre la mouche de l’oignon. Un projet triennal (2018-2021) a été mis sur pied pour démontrer et évaluer l’efficacité de la TSI dans des champs de culture commerciale d’oignons en Ontario.

Figure 1. Des mouches de l’oignon (Delia antiqua) capturées sur un piège englué (A) et un plant d’oignon endommagé par des larves de la mouche de l’oignon (B). Photos : Travis Cranmer et Joshua Mosiondz (MAAARO)

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Deux images étiquetées A et B. En A, nous voyons des mouches de l'oignon, prises dans un piège collant pour insectes, comparées à un doigt humain. En B, nous voyons des plants d'oignons endommagés.

Qu’est-ce que la technique de la stérilisation des insectes?

La technique de la stérilisation des insectes (TSI) est une stratégie de lutte antiparasitaire qui a été mise au point il y a plusieurs décennies et qui est utilisée pour maîtriser ou éradiquer différents insectes nuisibles dans de nombreuses régions du monde. Au Canada, un programme de stérilisation des insectes est appliqué avec succès dans des champs commerciaux de la vallée de l’Okanagan (Colombie Britannique), depuis le début des années 1990 afin de réduire significativement les populations naturelles de carpocapse de la pomme (Cydia pomenella). Le programme a réussi à maintenir à moins de 0,2 % les dommages causés par cet insecte et a permis de réduire de plus de 90 % l’utilisation du chlorpyrifos. Aussi, l’approche de la TSI pour lutter contre la mouche de l’oignon est utilisée avec succès par des producteurs d’oignons du Québec depuis plus d’une décennie. Dans certains champs d’oignons, cette technique en combinaison avec une utilisation minime ou nulle de pesticides a permis de réduire les dommages pour les faire passer de 30 % à moins de 1 %.

La technique consiste à élever un grand nombre d’insectes de l’espèce cible (habituellement des mâles) puis à les stériliser par irradiation. Les insectes stérilisés sont ensuite lâchés dans les régions infectées. Lorsque des mâles stérilisés s’accouplent avec des femelles sauvages fertiles, aucune progéniture viable n’est engendrée (figure 2). Il en résulte une décrue des populations de mouches d’une génération à l’autre, protégeant ainsi les cultures contre de futures infestations par l’abaissement de la densité globale des populations de mouches fertiles.

Figure 2. Étapes de la technique de stérilisation des insectes

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Une figure décrivant les étapes du processus de la technique de l'insecte stérile. Étape 1. L'insecte ciblé est produit en masse et stérilisé par irradiation. Deuxième étape. Des insectes stérilisés sont lâchés dans les zones touchées. Troisième étape. Aucune descendance n'est produite lorsque les insectes stérilisés s'accouplent avec des populations sauvages.

Où utilise-t-on cette technique pour contrer la mouche de l’oignon et donne-t-elle de bons résultats?

Aux Pays-Bas, la TSI est utilisée avec succès depuis 1981 par l’entreprise De Groene Vlig (La Mouche Verte) pour lutter contre la mouche de l’oignon. La technologie y est maintenant appliquée sur plus de 10 000 hectares. La société Phytodata Research Company Inc. a introduit la technique au Québec et y a ajouté une étape de coloration des mouches en rose pour pouvoir différencier les mouches stérilisées. Filiale du Consortium PRISME, la société Phytodata travaille à mettre au point et implanter la TSI pour contrer la mouche de l’oignon depuis 2005. La société qui possède une usine à la fine pointe à Sherrington (Québec) est actuellement le seul producteur commercial de mouches de l’oignon stérilisées qui vend directement aux producteurs en Amérique du Nord.

La technique continue de gagner en popularité au Québec depuis la réalisation du premier lâcher commercial en 2011. En 2021, la technologie a été appliquée sur environ 988 hectares de champs d’oignons dans la région de Sherrington. L’utilisation de la TSI contribue à éliminer la nécessité d’appliquer du chlorpyrifos dans le sol à la plantation, et dans de nombreux cas, élimine la nécessité de faire plusieurs traitements foliaires durant la saison, tout en maintenant des rendements comparables à ceux des champs qui sont traités avec des pesticides. La TSI a aussi contribué à réduire considérablement la contamination des bassins versants avoisinants par le chlorpyrifos. Ainsi, entre 2006 et 2019, la concentration maximale de chlorpyrifos a pu être réduite de 2,2 microgrammes par litre à des quantités indétectables.

Il y a également un avantage économique à utiliser la TSI à long terme. Puisque l’utilisation de cette technique contribue à réduire les générations futures des populations fertiles de la mouche de l’oignon, il faut réduire le nombre de mouches stérilisées à lâcher chaque année pour conserver le même niveau de contrôle du ravageur. Une étude réalisée au Québec a démontré qu’on peut réduire d’environ 90 % le taux des lâchers (soit de ~106 000 à 15 000 mouches par hectare) après cinq ans d’une utilisation répétée de la technique dans une même région. D’après les estimations fondées sur les coûts moyens calculés sur une période quinquennale, les coûts liés à la TSI sont essentiellement équivalents à ceux liés à un programme conventionnel de traitements insecticides.

Comment la technologie a-t-elle été transférée en Ontario?

Pour démontrer la TSI dans la région du Sud-Ouest de l’Ontario, une équipe de spécialistes de Phytodata et du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario (MAAARO) a comparé des champs témoins de cultures commerciales d’oignons qui avaient été plantés avec des oignons de repiquage ou des bulbes secs avec des champs où des mouches stérilisées roses avaient été lâchées. Les champs témoins ont été traités avec des pesticides conventionnels et se situaient à une distance de 100 m et de 17 km des champs où des lâchers avaient été effectués. Les oignons de repiquage ont été plantés à une densité élevée et les bulbes secs à une densité moyenne à la fin du printemps. Des pièges englués bleus ont été posés de chaque côté de tous les champs (figure 3) et ont été inspectés hebdomadairement pour surveiller les populations de mouches de l’oignon pendant toute la saison. Des échantillons d’oignons ont été collectés à différents moments pour évaluer les dommages causés par les larves de la mouche de l’oignon tout au long de la saison.

Figure 3. Champ d’oignons au 13 juin 2018 où des lâchers de mouches ont été effectués (A) et champ témoin au 17 juillet 2018 (B) Photos : Travis Cranmer (MAAARO)

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Deux images comparant la parcelle expérimentale, A, et la parcelle témoin, B. Dans la parcelle expérimentale, on peut voir des poteaux fixés avec des pièges à insectes collants.

Les mouches de l’oignon stériles ont été fournies par Phytodata. Après avoir été irradiées chez Nordion Inc. (Canada), des pupes de mouches stérilisées ont été expédiées dans des contenants en plastique à des producteurs ontariens collaborateurs, puis chargées dans des boîtes à émergence (figure 4). Les mouches ont émergé d’un à trois jours plus tard et ont été alimentées avec de la poudre nutritive et de l’eau distillée jusqu’à leur lâcher en champ. Les lâchers hebdomadaires de mouches stériles ont commencé peu après la plantation des oignons et se sont poursuivis jusqu’à la récolte, à un taux moyen de 100 000 mouches par ha. Le nombre de mouches lâchées a varié au cours de la saison et était fonction de la courbe des populations naturelles. Les effectifs libérés ont été moins nombreux au début et à la fin de la saison et ont été augmentés lorsque la pression de ravageurs était plus intense; les pics des lâchers ont coïncidé avec les pics des populations de ravageurs.

Figure 4. Pupes stérilisées colorées en rose (A); pupes versées dans la boîte à émergence qui contient des contenants de nourriture et d’eau (B); mouches stérilisées roses peu de temps après leur émergence des pupes (C); lâcher de mouches stériles dans un champ (D). Photos : Phytodata

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Quatre images étiquetées A, B, C et D, qui correspondent à la description ci-dessus.

La première année des démonstrations (2018) au site près d’Exeter (Ontario), l’utilisation de la TSI a réduit de plus de 50 % le pic des populations fertiles de mouches de l’oignon de deuxième génération. Ainsi, on a dénombré en moyenne 27 mouches par piège par semaine dans le champ témoin et 11 mouches par piège par semaine dans le champ où des lâchers avaient été faits. La troisième année des démonstrations (2020), les pics des populations de mouches étaient à peu près équivalents entre le champ témoin et le champ des lâchers au site près d’Exeter (Ontario). En 2020, comme la distance qui séparait le champ témoin du champ des lâchers n’était que de 100 m environ, des mouches stériles ont pu migrer dans le champ témoin et se retrouver dans le dénombrement des populations de ravageurs. En général, la culture répétée d’oignons au même endroit pendant plusieurs années consécutives est associée à une augmentation des populations de mouches de l’oignon. Toutefois, dans les sites où la TSI a été appliquée, les pics des populations de mouches fertiles sont restés stables de 2018 à 2020, malgré des cultures répétées d’oignons dans les champs adjacents qui étaient semés à une densité élevée pour la production d’oignons de repiquage (figure 5).

Figure 5. Moyennes de mouches par piège par semaine au site près d’Exeter (Ontario) (2018-2020). À noter qu’il n’y avait pas de champ témoin au site près d’Exeter en 2019.

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Exeter, Ontario - 2018
Date Release - Fertile Flies  Control - Fertile Flies
May 23 1.4 1.9
May 29 1.1 1.6
June 5 3.4 1.2
June 13 1.2 2.7
June 19 1.2 2.8
June 27 1.3 4.6
July 3 0.9 2.4
July 10 0.3 3.6
July 17 1.5 2.7
July 24 10.7 27.4
July 31 1.6 3.3
Aug. 7 1.6 3.8
Aug. 14 1.9 9.5
Aug. 22
Aug. 29
Sept. 3 3.9 9.6
Sept. 11 1.6 4.1
Sept. 19 2.3 5
Exeter, Ontario - 2019
Date Release - Fertile Flies  Control - Fertile Flies
May 15 0.9
May 22 10.7
May 28 4
June 4 3
June 11 0.5
June 18 8.8
June 25 14.4
July 2 4.3
July 9 4.7
July 16 0.5
July 23 2.8
July 30 5.5
Aug. 6 3.6
Aug. 13 1.3
Aug. 20 2.8
Aug. 27 1.2
Sept. 3 0.8
Sept. 10 2.4
Exeter, Ontario - 2020
Date Release - Fertile Flies  Control - Fertile Flies
June 2 2.5 1.8
June 9 2.6 1.6
June 16 2.9 2
June 24 11.2 15
June 30 18.1 12.8
July 7 4.3 3.7
July 14 8.5 4.7
July 21 3.3 4.4
July 28 2.1 1.5
Aug. 4 2.5 2.5
Aug. 11 0.9 1.8
Aug. 18 5.8 1.1

Pour la deuxième année et la troisième année des démonstrations, des sites d’essais additionnels ont été aménagés à Scotland (Ontario). À ces sites, on a suivi deux champs d’oignons (un champ de lâchers et un champ témoin) en 2019 et trois champs (deux champs de lâchers et un champ témoin) en 2020. Les pics de populations de mouches dans ces champs ont varié selon les champs et les années. Les sites d’essais additionnels se trouvaient dans des régions à forte concentration de production d’oignons et étaient adjacents à d’autres cultures d’oignons qui étaient implantées cette année-là ou qui avaient été pratiquées dans les années précédentes. Cette concentration de cultures d’oignons a probablement influé sur les interactions entre les mouches stériles et les populations de mouches fertiles dans ces sites. En 2020, les deux champs des lâchers de mouches près de Scotland (Ontario) contenaient une population de mouches fertiles qui était plus du double de celle du site témoin, pour la première génération de mouches fertiles (mi-juin). Cela illustre le fait que la pression initiale de ravageurs n’était pas comparable entre ces sites. Cependant, malgré une population initiale de mouches fertiles de première génération plus élevée dans les champs des lâchers, la population de mouches fertiles de deuxième génération (début d’août) a été plus élevée dans le champ témoin (figure 6). De plus, aucun dommage important causé par les larves de la mouche de l’oignon n’a été observé malgré les niveaux modérés ou élevés des populations de mouches fertiles à tous sites de cet endroit.

Figure 6. Moyennes de mouches par piège par semaine aux sites près de Scotland (Ontario) (2019-2020).

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Scotland, Ontario - 2019
Date Release I  - Fertile Flies Release II - Fertile Flies Control - Fertile Flies
May 29 6 7.5
June 5 4.8 5.2
June 12 6.9 26.3
June 20 21.8 18.8
June 27 25.4 12.2
July 4 2.1 2.1
July 19 3.9 2.2
July 24 4 3.2
Aug. 1 2.3 2.2
Aug. 7 2.9 0.9
Aug. 22 7.9 0
 
Scotland, Ontario - 2020
Date Release I  - Fertile Flies Release II - Fertile Flies Control - Fertile Flies
May 28 5.1 10.8 4.8
June 4 4 0 3.1
June 11 12 32.1 9.4
June 17 159.9 159.9 70.8
June 25 23.8 24.3 19.5
July 1 9.6 7.8 8.4
July 8 2.8 1.3 1.3
July 15 1.8 2.7 2.4
July 23 2.6 2.3 3.7
July 30 1.4 1.2 6.8
Aug. 5 0.8 0.8 6.3
Aug. 12 3.2 1.3 5.8
Aug. 19 10.8 0 10.3

Conclusion

En général, le niveau des dommages causés par les larves de la mouche de l’oignon qui a été observé dans tous les champs d’oignons et sur toute la durée des essais a été bas, malgré des niveaux modérés ou élevés de populations de mouches fertiles. Peu de dommages de larves ont été observés en 2018 et en 2019 comparativement aux années précédentes, et aucun dommage n’a été observé en 2020. Les niveaux des populations de mouches fertiles ont été modérés au cours des deux premières années des essais à tous les sites et ils ont été élevés au site près de Scotland (Ont.) en 2020; les populations ont varié de 11 à 27 mouches par piège par semaine lors des pics en 2018 et 2019 et de 15 à 160 mouches par piège par semaine en 2020. Ces essais ont montré qu’il y avait une différence de population de mouches fertiles de moins de 50 % entre le champ des lâchers et le champ témoin, pour ce qui est de la deuxième génération de mouches, en l’espace d’une seule année à l’une des deux localités. Globalement, les résultats de ces essais montrent que la technologie de stérilisation des insectes s’avère une solution de rechange prometteuse pour lutter contre la mouche de l’oignon. Et c’est particulièrement vrai pour les mouches de deuxième génération qui sont difficiles à maîtriser à l’aide des stratégies antiparasitaires existantes. L’utilisation continue et répandue de la technique de stérilisation des insectes par de nombreuses fermes pour lutter contre la mouche de l’oignon peut améliorer le taux de succès des interventions dans les régions où la culture d’oignons est concentrée et se traduira fort probablement par une réduction de la nécessité d’appliquer des produits chimiques. Cette technique peut également être utilisée de manière complémentaire en combinaison avec d’autres pratiques de lutte intégrée dans les endroits où la pression de ravageurs est très élevée. Après la fin du projet en 2020, la technologie continue d’intéresser les producteurs d’oignons ontariens, car ils continuent de lâcher des mouches stériles dans leurs cultures tout au long de la saison de production. En plus d’avoir évalué l’applicabilité de cette nouvelle stratégie de lutte aux cultures commerciales d’oignons en Ontario, la présente étude a généré de nouvelles connaissances sur la distribution et la dynamique des populations de mouches Delia sp dans cette région.

Pour plus d’information, veuillez contacter :

Anne-Marie Fortier
Phytodata – Directrice scientifique
Courriel : afortier@phytodata.ca

Travis Cranmer
MAAARO – Spécialiste des productions végétales
Courriel : travis.cranmer@ontario.ca

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