Méthode aidant les cultivateurs de camerises à améliorer leur trousse d’outils de lutte antiparasitaire

On croit à tort que les cultivateurs veulent uniquement s’en remettre aux pesticides pour lutter contre les ravageurs des cultures. Après tout, l’application de pesticides exige du temps, de l’argent et de la main-d’œuvre.

Ceci étant dit, même lorsque les cultivateurs réduisent leur utilisation de pesticides en adoptant des stratégies de rechange (comme la culture de variétés résistantes aux organismes nuisibles ou l’induction artificielle de la résistance naturelle, ou systémique, de la plante), l’utilisation des pesticides peut continuer de s’avérer nécessaire.

Que se passe-t-il alors lorsque quelques cultivateurs audacieux tentent de commercialiser une nouvelle culture? Particulièrement lorsqu’ils n’auront accès à aucun pesticide en cas de besoin?

C’est le défi qui se posait aux producteurs fruitiers souhaitant cultiver la camerise pour les consommateurs canadiens.

Une industrie émergente qui cherche un coup de pouce

La culture de la camerise, aussi appelée chèvrefeuille bleu ou haskap en anglais, est une nouvelle culture à laquelle se sont récemment intéressés certains producteurs fruitiers canadiens, notamment au Yukon.

de camerises

Credit: Khanmn2019 via Wikipedia Commons

Les premiers amateurs de camerise, dont la plupart se trouvent au Québec, ont lancé cette culture en 2007 à l’aide de cultivars mis au point par Bob Bors, un phytologue de l’Université de la Saskatchewan.

Les arbustes de camerise se plaisent dans les climats froids et les conditions difficiles et humides. La camerise est riche en vitamine C et en polyphénols et elle contient plus d’antioxydants que le bleuet. Pas surprenant qu’on la considère comme étant le plus récent « superaliment » à faire son apparition sur le marché.

Mais comme il s’agit d’une nouvelle culture de petits fruits, il n’existait aucun fongicide permettant de la protéger des maladies nocives. Les cultivateurs savent bien que les maladies peuvent diminuer le rendement en fruits et la qualité de ces derniers et, dans le pire des cas, détruire complètement la culture.

Lorsque les premières récoltes commerciales ont été possibles (un plant nécessite de quatre à sept ans pour atteindre sa maturité), les cultivateurs ont commencé à penser à l’avenir.

Un plant de camerises peut produire des fruits pendant 25, voire 40, ans, ce qui donne amplement le temps aux ravageurs de donner du fil à retordre aux cultivateurs, et c’est pourquoi ces derniers voulaient être prêts. Ils avaient besoin d’outils de lutte contre les organismes nuisibles qui menacent la camerise, particulièrement l’oïdium, un champignon commun qui s’attaque aux feuilles et qui peut affaiblir le plant au fil du temps.

Après avoir cerné leurs besoins, les cultivateurs de camerises ont demandé au Centre de la lutte antiparasitaire (CLA) d’Agriculture et Agroalimentaire Canada de les aider à les combler.

Le Centre de la lutte antiparasitaire soutient les cultivateurs

Le CLA comble une importante lacune du processus d’homologation des pesticides pour usage sur les cultures spéciales, comme la camerise.

En concevant des essais au champ sur les résidus et en gérant l’efficacité des pesticides, le CLA produit les données scientifiques dont a besoin l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) pour pouvoir approuver un pesticide pour un nouvel emploi.

Les entreprises de pesticides produisent habituellement leurs propres données, mais ces essais sont dispendieux et complexes. Les cultures spéciales sont cultivées à trop petite échelle pour constituer un incitatif financier poussant les entreprises à effectuer elles-mêmes les essais.

C’est là que le CLA entre en jeu.

Le CLA a été créé pour faciliter la conception d’outils et de technologies de lutte antiparasitaire sûrs et efficaces aux fins de la production de cultures spéciales à valeur élevée sur de petites superficies au Canada. Le CLA s’emploie également à réduire l’utilisation des pesticides chimiques en appuyant la mise au point d’outils et de techniques à risque réduit et l’élaboration de stratégies de lutte antiparasitaire intégrée en vue de protéger les cultures du Canada.

Il s’agit d’un mandat qui cadre avec l’Année internationale des fruits et des légumes (cette année), une initiative des Nations Unies visant à orienter les efforts, à l’échelle internationale, vers la culture et la consommation accrues de fruits et de légumes.

En concevant de nouveaux outils de protection des cultures, le CLA veille à ce que les consommateurs canadiens aient accès à un approvisionnement croissant de fruits et légumes sains et nutritifs, entre autres plantes. Il aide également les cultivateurs à assurer la viabilité de leur exploitation.

Le long parcours tortueux de l’homologation des pesticides

Le soutien offert par le CLA débute dans le cadre de son atelier annuel, qui aide les cultivateurs canadiens à cerner leurs plus importants problèmes liés aux organismes nuisibles. Lorsque les cultivateurs ont établi leurs principales priorités, le CLA entame sa recherche de nouveaux outils qui permettront de protéger leurs cultures de manière sûre et efficace.

Credit: Opioła Jerzy (Poland), CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

En 2015, ce fut le tour des cultivateurs de camerises.

Ces cultivateurs souhaitaient que le CLA élargisse le profil d’emploi du Flint, un fongicide à large spectre dont la trifloxystrobine est l’ingrédient actif, afin d’y inclure l’oïdium pour la camerise.

Il aura fallu trois ans à l’équipe de pathologie du CLA pour satisfaire aux exigences réglementaires strictes de l’ARLA : deux ans pour produire les données, et un an pour rédiger les rapports sur les résidus et la valeur.

Dans le cadre de ses travaux, le CLA a réalisé quatre essais sur l’efficacité et huit essais au champ sur les résidus en Colombie-Britannique et au Québec. Le CLA a également effectué un essai définitif sur les résidus à son laboratoire de chimie analytique de Vineland, en Ontario.

Après que le CLA ait présenté ses rapports à l’ARLA à la fin 2018, cette dernière a pris la relève. L’ARLA en est maintenant aux dernières étapes de son évaluation, dans le cadre desquelles elle évalue l’étiquette du produit avant d’homologuer l’utilisation du Flint pour la camerise.

Entretemps, les cultivateurs de camerises ont à nouveau assisté à l’atelier annuel du CLA en 2016. Même s’ils s’attendaient à pouvoir utiliser le fongicide Flint à l’avenir, les cultivateurs souhaitent en outre obtenir des options de rotation des produits.

« Ce que les cultivateurs souhaitent, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une nouvelle culture, c’est d’avoir accès à diverses options de rotation, soit de pouvoir utiliser différents produits qui appartiennent à des groupes chimiques différents et qui ont un mode d’action différent. Ceci leur permet de lutter contre la maladie et de retarder l’acquisition de résistance », explique Jean-François Dubuc, responsable d’étude au Centre de recherche et de développement du CLA à St-Jean-sur-Richelieu.

À l’époque, les cultivateurs ne savaient pas quel produit proposer pour homologation. Ils ont donc demandé au CLA d’effectuer des essais de sélection pour évaluer l’efficacité de neuf fongicides pour lutter contre l’oïdium dans la culture des camerises.

Selon ses résultats, le CLA a déterminé que le Miravis Prime, un produit systémique de contact contenant deux ingrédients actifs (pydiflumétofène et fludioxonil) était à privilégier. Les cultivateurs, encouragés par les résultats du CLA, ont ajouté le produit au plan de travail du CLA qui, en 2018, a commencé la réalisation des essais d’efficacité nécessaires à l’homologation. Malgré les retards causés par une faible pression exercée par les organismes nuisibles et la pandémie, le CLA espère remplir les exigences d’essais pendant la présente saison

Si les résultats sont concluants, le CLA prévoit compléter et présenter son rapport à l’ARLA d’ici la fin 2022.

Il n’y a nul doute qu’il s’agit d’un long processus. Mais en fin de compte, grâce au CLA, les cultivateurs de camerises pourront ajouter deux fongicides à leur trousse d’outils de lutte contre l’oïdium.

Autres outils à venir pour les cultivateurs de camerises

L’histoire ne s’arrête pas là pour les cultivateurs de camerises.

Après avoir lancé le CLA à la recherche de fongicides contre l’oïdium, les producteurs de camerises se sont employés à trouver des solutions de lutte contre les mauvaises herbes.

Comme la camerise est une nouvelle culture, les producteurs n’avaient accès à aucun herbicide homologué pour la lutte contre les mauvaises herbes dans cette culture. Sachant qu’ils pouvaient compter sur le CLA pour les aider, les cultivateurs ont assisté , année après année, à l’atelier annuel du CLA en vue d’améliorer leurs pratiques de lutte contre les mauvaises herbes.

Maintenant que le CLA s’emploie à produire des données sur cinq herbicides, les cultivateurs de camerises ont réexaminé leurs besoins en matière de lutte antiparasitaire. Dans le cadre de l’atelier de cette année, ils ont identifié les vers blancs à titre de ravageur préoccupant.

Le CLA a déjà commencé les travaux visant à mettre un autre pesticide à la disposition des cultivateurs de camerises, mais cette fois il s’agit d’un insecticide. C’est bien là le mandat du CLA, soit aider tous les cultivateurs, et plus particulièrement les producteurs de cultures spéciales, à assurer leur réussite à long terme.