Préciser les recommandations d’un programme de lutte intégrée contre la mouche de la carotte et le charançon de la carotte

Code du projet : PRR17-020

Chef de projet

Suzanne E. Blatt - Agriculture et Agroalimentaire Canada

Objectif

Améliorer la lutte contre la mouche de la carotte et le charançon de la carotte dans la production de carottes en Ontario et dans les Maritimes en mettant au point des modèles plus raffinés pour la prédiction de l’émergence et en évaluant l’efficacité des produits à base de nématodes entomopathogènes

Contexte

La mouche de la carotte (Psila rosae F.) et le charançon de la carotte (Listronotus oregonensis L.) sont deux ravageurs importants de la carotte qui causent des dommages économiques considérables dans l’est du Canada. Le charançon de la carotte (CC) cause des dommages surtout en Ontario et en Nouvelle-Écosse, tandis que la mouche de la carotte (MC) sévit en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard. Les larves des deux ravageurs creusent des galeries dans les racines de carottes, rendant celles-ci invendables. Ces galeries peuvent constituer des portes d’entrée pour des bactéries et des champignons qui causent d’importants dommages postrécolte pendant l’entreposage. Les dommages varient selon l’endroit et le lieu, mais des pertes aussi élevées que 70 % de la récolte dans le cas du CC et que 100 % dans le cas de la MC ont déjà été rapportées. La lutte contre ces ravageurs se fait principalement par des applications d’insecticides à base d’organophosphates ou de pyréthroïdes, mais ces produits ratent souvent leurs cibles, surtout quand les larves se cachent dans la carotte ou dans le sol. De plus, les producteurs ont à leur disposition de moins en moins d’options d’insecticides efficaces. D’une part, l’utilisation de certains insecticides a été éliminée progressivement après leur révision réglementaire (dont le diazinon qui était utilisé contre la MC) et d’autre part, des données probantes font état de l’acquisition de résistance aux insecticides chez les populations de ravageurs (par exemple le CC à l’égard du phosmet). Le moment des traitements insecticides est aussi un élément crucial de la prévention des dommages causés par le CC et la MC. Pour gérer les applications insecticides selon la présence des ravageurs, il faut disposer de prédictions exactes des populations, et ces prédictions sont généralement faites à l’aide de modèles de prédiction de l’émergence des ravageurs qui sont basés sur l’accumulation des degrés-jours (DJ) et du dépistage. Des modèles de prédiction ont été élaborés au Québec dans les années 1990 et 2000, mais ils ne donnent pas de résultats cohérents pour la MC en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard ainsi que pour le CC en Ontario et en Nouvelle-Écosse.

La nécessité d’accroître les options de lutte pour diversifier le coffre d’outils des producteurs de carottes et améliorer l’efficacité de la lutte contre ces ravageurs a été défini comme une priorité d’action dans la Stratégie de réduction des risques liés aux pesticides contre les insectes nuisibles des racines des carottes, panais et oignons d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC). Dans la foulée des résultats obtenus des projets antérieurs (PRR07-090 et PRR14-020) financés dans le cadre de cette initiative, le présent projet de deux ans visait à affiner et à valider les modèles existants de prédiction de l’émergence de ces ravageurs en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Ontario. Parallèlement, des options de lutte alternatives ont été étudiées dans les conditions de ces régions.

Approches

Le présent projet a été mis en œuvre dans des champs commerciaux en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Ontario en 2017 et en 2018 et dans des champs expérimentaux en Nouvelle-Écosse en 2018 sous la direction de scientifiques du Centre de recherche et de développement d’AAC à Kentville (Nouvelle-Écosse). Des données sur les populations de ravageurs et les conditions météorologiques dans ces provinces provenant de stations à proximité ou aménagées sur place ont été enregistrées pendant les saisons de croissance 2017 et 2018 pour affiner les modèles de prédiction existants fondés sur les DJ. En 2017, les suivis des populations de MC adultes dans les cultures commerciales de carottes de l’Ontario et de l’Île-du-Prince-Édouard ont été faits avec des pièges adhésifs jaunes, tandis qu’en 2017 et en 2018, les suivis des populations de CC dans des champs commerciaux et expérimentaux de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse ont été faits avec des pièges Boivin modifiés. Ces données sont venues enrichir la base de données évolutive sur l’émergence du CC et de la MC et elles ont servi à mettre à jour et à adapter les modèles de prédiction basés sur les DJ respectifs pour les régions cibles.

Dans le cadre de l’étude d’options de lutte alternatives, quatre produits commerciaux à base de nématodes entomopathogènes (NEP) ont fait l’objet d’essais dans chaque région pour évaluer leur efficacité de contrôle des MC et des CC. Des essais antérieurs de produits NEP en laboratoire avaient été effectués sur des insectes nuisibles, dont des charançons, et ils s’étaient avérés prometteurs. Le présent projet visait à déterminer si l’activité de ces produits était conservée au champ. Les produits Steiner-system (Steinernema feltiae) et Carpo-system (S. carpocapsae) obtenus de BioBest ont été appliqués en pulvérisation foliaire à la dose indiquée sur l’étiquette, soit un million de nématodes par mètres carrés [M/m2] (équivalent à 1000 litres par hectare en champ), à l’Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse et en Ontario en 2017. Deux autres produits NEP, soit le B-Green system (Heterorhabditis bacteriophora) et le Kraussei system (S. kraussei), ont été appliqués à la même dose et de la même manière que les autres produits au milieu et à la fin de la saison en Nouvelle-Écosse et en Ontario en 2017. Sur la base des résultats préliminaires obtenus en 2017, une seule application de Steiner-system ou de B-Green system a été faite par parcelle traitée en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Ontario en 2018, mais à différents temps d’application. Afin d’évaluer l’efficacité de ces produits, des échantillons de carottes ont été prélevés dans chaque parcelle traitée pour noter les dommages racinaires au fil de la saison et les comparer à ceux des parcelles témoins.

La longévité et la viabilité des nématodes entomopathogènes ont également été évaluées tout au long de la saison. Des échantillons de sol ont été prélevés et les taux d’humidité ont été relevés sur une base régulière dans chaque parcelle en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard entre le moment de l’application et jusqu’à huit semaines plus tard en 2017 et jusqu’à six semaines plus tard en 2018. Chaque échantillon de sol a été versé dans une boîte de Petri, puis de 8 à 10 larves de fausse teigne de la cire (Galleria spp.) qui ont été déposées à la surface du sol dans chaque boîte pour nourrir les nématodes. Au bout d’une semaine, les échantillons ont été examinés pour déterminer la présence de nématodes et la mortalité des larves de fausse teigne de la cire. Une expérience a également été effectuée en laboratoire avec les produits de nématodes pour déterminer à quelle profondeur les nématodes pouvaient descendre dans les substrats pour atteindre une source de nourriture (larves de fausse teigne de la cire : Galleria spp.). Des larves de fausse teigne de la cire ont été surgelées individuellement (pour réduire leurs mouvements), puis placées à 3, 5 ou 7 cm de profondeur dans de la terre stérilisée mise en tube d’expédition qui avait été doublé de papier ciré. Chacun des quatre produits de nématodes a été appliqué séparément à la surface des échantillons de sol à la dose recommandée sur l’étiquette, soit 1 M/m2. Après 12, 16, 24 ou 48 heures, les tubes ont été désassemblés pour évaluer la présence de nématodes et les larves de fausse teigne de la cire ont été disséquées pour évaluer leur taux de mortalité.

Résultats

Les modèles de prédiction des CC et des MC basés sur les DJ qui avaient été précédemment mis à jour pour le Québec et l’Ontario (PRR07-090) ont été affinés à l’aide des données météorologiques et des données sur les populations qui ont été recueillies en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse au cours du présent projet. Ces résultats ont été combinés aux données antérieures qui avaient été collectées dans ces régions en 2014-2016 (PRR14-020) pour améliorer et valider les modèles pour ces régions. Les données sur la MC qui ont été collectées en Nouvelle-Écosse et en Ontario pendant cette période étaient trop sporadiques et incohérentes, et étaient insuffisantes pour affiner les modèles de prédiction pour ces régions, alors seuls les résultats relatifs au CC ont été utilisés pour ces sites. En utilisant le seuil de 7° C déterminé précédemment au Québec, la validation des modèles de prédiction pour le CC en Nouvelle-Écosse a montré que l'émergence d’un premier ravageur a eu lieu à 35 DJ, le pic d’émergence se situant à 387 DJ. C’est plus tôt que ce qui a été observé à Québec, et ces résultats suggèrent que les producteurs de la Nouvelle-Écosse doivent commencer leur surveillance au début mai plutôt qu’à la fin mai ou au moment du semis. On a constaté que la ponte sur les carottes appâts commençait dès 42 DJ, soit bien avant le moment où la carotte est semée. Les producteurs qui utilisent ces modèles peuvent profiter d’un créneau favorable pour gérer les populations de CC, en ciblant le moment où la plupart des adultes ont émergé mais où la ponte dans les champs n'a pas encore débuté.

Les résultats préliminaires de l’évaluation de la longévité des produits NEP de 2017 ont montré que deux nématodes (S. feltiae et S. carpocapsae) ont survécu dans le sol jusqu’à 4-6 semaines après l’application. Toutefois, leurs impacts sur les dommages de MC et de CC dans les essais en champs étaient variables selon la région. Aucune différence significative des dommages n’a été observée entre les parcelles traitées au milieu et à la fin de la saison avec H. bacteriophora ou S. kraussei et les parcelles témoins en Nouvelle-Écosse et en Ontario en 2017. Même si aucun produit NEP n’a réduit significativement et de manière constante les dommages au cours des essais en 2017, la réduction globale affichée par S. feltiae a été supérieure, principalement pour les populations de CC. On a observé 8 % moins de dommages en Nouvelle-Écosse à la suite d’une double application, mais 0,9 % moins de dommages en Ontario à la suite d’une seule application (application tardive) par rapport aux parcelles témoins. On a observé la plus grande réduction (~7 %) pour les populations de MC à l’Île-du-Prince-Édouard à la suite d'une double application de S. feltiae par rapport à une seule application pendant la saison de culture, mais aucune différence significative des dommages n’a été observée entre les parcelles traitées et les parcelles témoins. H. bacteriophora et S. feltiae ont montré des résultats de longévité prometteurs en 2017, l’infectivité persistant jusqu’à 6 semaines après l’application. Par conséquent, ces deux produits ont été choisis pour la conduite d’essais au champ en 2018 et ils ont été appliqués dans des champs de carottes en Nouvelle-Écosse, en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard. Puisque de nombreuses applications de ces produits NEP seraient trop coûteuses, une seule application des produits B-Green et Steiner-system a été effectuée à chaque parcelle d’essai à tous les sites en 2018. Les moments des applications ont été déterminés à l’aide des modèles actuels de prédiction basés sur les DJ pour cibler les pupes de la MC et du modèle mis à jour de prédiction basé sur les DJ pour cibler les pupes ou les adultes du CC, qui sont les stades de vie des ravageurs les plus vulnérables aux traitements. Les deux produits NEP ont réduit significativement (~25 %) les dommages de CC lors de leur application au début de 2018 en Ontario, mais n’ont pas été efficaces à contrer la MC en Ontario.

Aucun des produits NEP n’a réduit significativement les dommages causés par l’un ou l’autre des ravageurs en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard en 2018. L’efficacité de ces produits est tributaire de la longévité et de la mobilité des nématodes qui sont grandement affectés par un certain nombre de facteurs ambiants, dont l’humidité du sol, le type de sol et le moment de l’application. Dans ces études, certains NEP ont survécu dans le champ jusqu’à 12 semaines après l’application, alors que d’autres ont perdu leur efficacité au bout de 3 semaines, et l’efficacité des produits a varié selon l’année et l’endroit. Les études effectuées en laboratoire avec ces quatre espèces de NEP ont confirmé le choix des espèces utilisées en champ, mais elles ont aussi démontré l’efficacité relative de chaque espèce à localiser un hôte dans différents gradients d’humidité du sol. Compte tenu de la variabilité et de l’incohérence des résultats d’efficacité qui ont été obtenus pour l’ensemble du présent projet, les produits NEP qui ont été évalués ne peuvent être recommandés en ce moment pour un usage commercial pour lutter contre la MC et le CC dans les champs de carottes de l’Ontario, de l’Île-du-Prince-Édouard ou de la Nouvelle-Écosse. Il faut poursuivre les études sur les conditions et les stratégies qui permettraient d’améliorer l’activité des NEP.