Le méthane est un puissant gaz à effet de serre produit notamment dans le rumen du bétail pendant le processus normal de la digestion des aliments. Il représente une importante perte d'énergie alimentaire qui accroît le coût des aliments pour animaux. Par exemple, une vache laitière en lactation génère environ 400 g de méthane par jour. Et ces pertes de méthane s'accumulent rapidement. En un an, une vache laitière produit une quantité de méthane équivalant aux émissions de gaz à effet de serre émis par une voiture moyenne qui parcourt 20 000 kilomètres.
Les chercheurs du Centre de recherche de Lethbridge d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), en Alberta, élaborent des stratégies de réduction de la production du méthane pour l'industrie du bœuf et l'industrie laitière.
Karen Beauchemin, Ph.D., spécialiste de l'élevage du bétail à AAC, cherche des moyens de mesurer et de réduire les émissions de méthane. Elle est convaincue que, puisqu'environ 40 p. 100 des émissions agricoles au Canada proviennent directement du méthane et dont 90 p. 100 sont générées au cours de la digestion des aliments chez les bovins et les ovins, les émissions agricoles de méthane peuvent être réduites grâce à des systèmes d'alimentation et de gestion du bétail.
Mme Beauchemin explique que son équipe a mené des essais d'alimentation pour déterminer comment différents régimes peuvent réduire les émissions de méthane des vaches. L'équipe s'est servi de salles équipées d'instruments spécialisés au Centre de recherche de Lethbridge pour mesurer la production de méthane chez les animaux et elle a également noté les effets des différents régimes sur la production de lait et de viande et sur l'efficacité alimentaire.
Stratégies d'alimentation
Jusqu'à présent, de nombreuses stratégies d'alimentation se sont révélées prometteuses. Par exemple, l'augmentation de la teneur en matières grasses dans l'alimentation par l'ajout d'oléagineuses broyées (graines de tournesol, de canola ou de lin) ou des drêches de distillerie (maïs) a permis de réduire jusqu'à 20 p. 100 de l'énergie perdue sous forme de méthane. Des réductions comparables de méthane ont aussi été constatées avec l'ajout au régime d'autres sources de matières grasses, comme des graines de coton entières, des huiles de plantes et certains sous produits d'éthanol. Globalement, on a obtenu une réduction de 5 points de pourcentage de méthane pour chaque point de pourcentage de matières grasses brutes ajoutées aux matières sèches.
L'ajout d'un surplus de grains à la ration a également permis de réduire les émissions de méthane, mais l'augmentation de la quantité de grains pour nourrir les ruminants est assez limitée, car on ignore la capacité des ruminants à convertir les aliments fibreux, impropres à la consommation humaine directe, en lait et en viande, sources de protéines de haute qualité. Les régimes à base de grains de maïs, comparés à ceux à base d'orge, réduisent les émissions de méthane, tout comme les fourrages de grande qualité (maïs à ensilage et luzerne). Les ionophores, antimicrobiens qui s'attaquent à la population bactérienne du rumen et qui maximisent le rendement de la production, contribuent eux aussi à la réduction des émissions de méthane, au moins pour quelque temps.
Additifs alimentaires
L'équipe étudie aussi les additifs alimentaires, comme des extraits de plantes (tanins condensés, saponines, huiles essentielles) et des modificateurs du rumen (levures, produits microbiens à administration orale, enzymes). Dans une étude récente, elle a ajouté au régime des bovins des produits commerciaux à base de levure sèche active, notamment un nouveau produit sélectionné pour sa capacité d'améliorer la digestion des fibres dans le rumen. Cette combinaison a permis de réduire de 6 p. 100 la production de méthane et elle prouve que les produits à base de levure peuvent améliorer la digestion du bétail.
En Nouvelle-Zélande et en Australie, d'autres équipes de recherche explorent elles aussi des moyens novateurs d'éliminer les microbes présents dans le rumen qui produisent du méthane, tels que des vaccins. Leurs travaux devraient mener à des solutions pratiques qu'on pourra utiliser à l'avenir pour réduire les émissions de méthane produites par les bovins de boucherie et les vaches laitières.
Efficacité de conversion des aliments
Puisque la production de méthane est directement proportionnelle à la quantité d'aliments ingérée par l'animal, améliorer l'efficacité de la conversion des aliments, c'est-à-dire la quantité d'aliments consommés par kilogramme de lait produit ou de poids gagné, réduit la production de méthane. Les aliments les plus digestibles réduisent la quantité d'émissions de méthane émise par produit. Cela dit, il peut aussi être possible d'élever des bovins d'une plus grande efficacité alimentaire produisant moins de méthane. Au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, des chercheurs évaluent actuellement la production de méthane chez les vaches laitières et les bovins de boucherie sélectionnés pour leur efficacité élevée de conversion des aliments.
Pratiques de gestion
Les pratiques de gestion qui réduisent le nombre de têtes dans les exploitations d'élevage bovin et dans les fermes laitières contribuent également à réduire la production de méthane. Par exemple, l'amélioration du rendement reproductif des vaches permet de faire baisser le nombre de génisses de remplacement, ce qui aide à réduire les émissions de méthane.
Logiciel Holos
Les producteurs de bétail qui veulent mieux comprendre les émissions de gaz à effet de serre de leurs exploitations peuvent se servir du logiciel Holos mis au point par AAC pour calculer ces émissions. Le logiciel Holos évalue les émissions de dioxyde de carbone, d'oxyde nitreux et de méthane produites par la fermentation entérique, la gestion du fumier, les systèmes de culture et la consommation d'énergie.
Ce logiciel a été conçu pour aider les agriculteurs à envisager et à essayer des façons de réduire les émissions de gaz à effet de serre de leurs exploitations. Il a été évalué partout au Canada par les équipes de prise en charge du Conseil de conservation des sols du Canada. Ces équipes, que l'on trouve dans chaque province, ont mis à l'essai le logiciel en l'alimentant avec des données réelles soumises par les agriculteurs.
Le logiciel permet à chaque agriculteur de choisir les pratiques de gestion qui décrivent le mieux son exploitation et d'entrer les différentes options susceptibles de réduire ses émissions. Il évalue les répercussions de ces options sur les émissions de l'ensemble de son exploitation.
Mme Beauchemin explique que les exploitations d'élevage du bétail sont des écosystèmes complexes en raison des interactions entre leurs nombreux éléments, notamment, les sols, les cultures, les aliments pour animaux, les animaux et le fumier. Dans un élevage typique de bovins de boucherie ou de vaches laitières, le méthane produit par les animaux ou émanant de leur fumier représente plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre, l'oxyde nitreux provenant des cultures et des sols, à peu près un tiers, et le dioxyde de carbone produit par la consommation d'énergie à la ferme compte pour le reste.
Selon elle, il est important de s'assurer qu'une réduction de la production de méthane se reflète dans toute l'exploitation en entraînant une baisse globale des émissions de gaz à effet de serre. Dans certains cas, la réduction des émissions de méthane produites par les vaches peut causer une augmentation indésirable des autres gaz à effet de serre émis par l'exploitation. Les éleveurs de bétail peuvent déjà se prévaloir de plusieurs options pour tirer parti de la réduction des émissions de méthane. On peut s'attendre à d'autres solutions dans l'avenir (voir le tableau ci-dessous). En définitive, contrôler la perte d'énergie alimentaire sous forme d'émissions de méthane contribue à accroître l'efficacité de la production bovine et constitue un objectif écologique pour l'industrie du bétail.
Délai de mise au point | Pratique d'atténuation pour l'industrie laitière | Réduction des émissions de méthane prévues |
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Immédiate | Ajout d'huiles et d'oléagineuses à l'alimentation. | De 5 à 20 % |
Régimes à plus forte teneur en grains. | De 5 à 10 % | |
Remplacement des graminées par des légumineuses. | De 5 à 15 % | |
Remplacement du foin ou de l'ensilage d'herbes par l'ensilage de maïs ou de petits grains. | De 5 à 10 % | |
Les ionophores | De 5 à 10 % | |
Gestion des troupeaux pour réduire le nombre de têtes. | De 5 à 20 % | |
Optimisation des pratiques de gestion bénéfiques pour améliorer la production laitière par vache. | De 5 à 20 % | |
Dans 5 ans | Introduction de modificateurs du rumen (levures, enzymes, produits microbiens à administration orale). | De 5 à 15 % |
Extraits de plantes (tanins, saponines, huiles). | De 5 à 20 % | |
Sélection génétique du cheptel pour optimiser l'efficacité de conversion des aliments. | De 10 à 20 % | |
Dans 10 ans | Vaccins | De 10 à 20 % |
Stratégies de modification des populations microbiennes du rumen. | De 30 à 60 % |