Sur l'Île-du-Prince-Édouard, où la météo est souvent imprévisible, les forts vents sont la seule constante. Entourée par l'océan Atlantique, l'île est souvent balayée par les vents, ce qui peut avoir des effets indésirables sur les champs agricoles par l'érosion des sols. Le sol nu est très sensible à l'érosion par le vent, la pluie et la fonte des neiges. Au fil du temps, l'érosion prive les exploitations agricoles de la précieuse couche arable riche en matières organiques, ce qui rend le sol moins fertile ou moins résistant aux conditions météorologiques extrêmes. En outre, le sol nu et gorgé d'eau est beaucoup plus susceptible de voir l'excès d'azote s'infiltrer dans les eaux souterraines ou se perdre dans l'atmosphère sous forme d'oxyde nitreux, un gaz à effet de serre.
Les agriculteurs continuent de concentrer leurs efforts sur la durabilité, ce qui, pour l'Île‑du‑Prince‑Édouard, signifie préserver la santé du sol et la qualité de l'eau. C'est pourquoi le Laboratoire vivant – Atlantique, un projet d'innovation collaboratif de quatre ans mené à l'Île‑du‑Prince‑Édouard entre des chercheurs, des agriculteurs et d'autres partenaires, a évalué la culture de couverture en tant que pratique de gestion pour améliorer la santé du sol. En d'autres mots, une culture de couverture est une plante cultivée pour le bien du sol, plutôt que pour être récoltée et consommée. Dans le cadre du Laboratoire vivant – Atlantique, les agriculteurs locaux ont été à l'avant-garde du codéveloppement des pratiques et des activités de recherche qu'ils considèrent comme les plus bénéfiques, telles que les cultures de couverture. Ils ont constaté directement l'impact de la plantation de cultures de couverture dans leurs champs, et ce, en temps réel depuis 2019.
Judith Nyiraneza, Ph. D., scientifique à Agriculture et Agroalimentaire Canada, codirige l'activité sur les cultures de couverture à laquelle participent plusieurs agriculteurs et d'autres chercheurs, dont Ryan Barrett, spécialiste en recherche et en agronomie au PEI Potato Board, et Brandon MacPhail, de MacSull Farms Ltd.
« Les cultures de couverture offrent de nombreux avantages, comme la réduction de l'érosion du sol, l'accumulation d'éléments nutritifs précieux dans les racines, la réduction des maladies du sol, en plus d'être une bonne source de carbone, un indicateur clé de la santé du sol. »
Judith Nyiraneza, Ph. D., scientifique, Agriculture et Agroalimentaire Canada
Mme Nyiraneza, M. Barrett, M. MacPhail et d'autres agriculteurs participants ont récemment achevé les activités de recherche du Laboratoire vivant – Atlantique qui visaient à « découvrir » le meilleur usage qu'on peut faire des cultures de couverture dans la production de pommes de terre et la manière dont ces cultures peuvent être plantées plusieurs fois par an, en apportant de nombreux avantages aux agriculteurs et au sol.
À la ferme de recherche Harrington d'AAC, Mme Nyiraneza a étudié les cultures de couverture qui sont plantées pendant toute la saison de croissance, puis enfouies dans le sol à l'automne, avant la plantation de pommes de terre au printemps suivant. Elle a mis à l'essai un large éventail de cultures, notamment des graminées et des légumineuses séparément ainsi qu'un mélange de légumineuses et de graminées. Elle a constaté que le mil perlé est la plante qui restitue le plus de carbone au sol. Le mil perlé et le sorgho du Soudan présentent un risque moindre de lessivage de nitrates dans le sol et augmentent le rendement total de la pomme de terre.
Dans une autre étude, Mme Nyiraneza a évalué des cultures de couverture d'hiver plantées entre le début et la mi‑septembre, avant la plantation de pommes de terre au printemps suivant. Elle a constaté que les cultures de couverture d'hiver, dont le seigle et le blé d'hiver, réduisent à la fois l'érosion du sol et le lessivage des nitrates, ce qui s'est révélé bénéfique pour l'environnement. En plus de se rétablir rapidement au début du printemps, le seigle et le blé d'hiver offrent ainsi une protection de plus durant la fonte des neiges, quand le risque d'érosion du sol est très élevé. De plus, les agriculteurs peuvent récolter ces cultures à des fins lucratives. Le rendement du blé d'hiver récolté a varié entre 4,5 et 7,6 tonnes par hectare et celui du seigle d'hiver entre 3,2 et 5,1 tonnes par hectare.
Ryan Barrett, du PEI Potato Board, a passé les quatre dernières années à travailler avec des agriculteurs, tout comme Brandon MacPhail, aux quatre coins de l'île pour étudier les cultures de couverture semées à l'automne. Ces cultures sont plantées après la récolte d'une culture commerciale ou après le travail du sol pour préparer la culture de l'année suivante. Il s'agit de cultures céréalières courantes comme l'orge ou l'avoine et de cultures plus récentes pour l'Île‑du‑Prince‑Édouard comme le radis blanc. M. MacPhail et d'autres agriculteurs participants ont contribué aux essais et à la recherche sur les cultures de couverture en fournissant les terres, les semences, le matériel, le temps et le personnel nécessaires à la pratique de cette gestion des cultures. Avec les scientifiques, ils ont déterminé les cultures à planter en tant que couverture, dans quels champs et pour quelles cultures de production. M. Barrett a utilisé des bacs d'arrosage dans les champs de cultures de couverture pour mesurer la vulnérabilité du sol à l'érosion. Les bacs d'arrosage ont été introduits par Mme Nyiraneza et mis à l'essai dans des études antérieures. Il s'agit d'un moyen simple de mesurer les particules de sol projetées par les gouttes de pluie. Les nitrates présents dans le sol ont été mesurés à différentes dates à l'automne; des évaluations de la santé du sol ont été menées sur la santé du sol avant et après la culture des plantes de couverture.
Les données relevées par M. Barrett et les agriculteurs participants sont fortement en faveur des cultures de couverture. Sur une période de quatre ans, il a constaté une diminution de 25 à 30 % de la terre arable recueillie dans les bacs d'arrosage, même dans les champs où les cultures de couverture étaient à peine sorties du sol, confirmant leur capacité à réduire l'érosion des sols. Il a également constaté une réduction de 30 à 40 % de la quantité de nitrates dans la zone racinaire où des cultures de couverture ont été plantées. Ceci est une bonne nouvelle pour l'environnement, sachant que les cultures de couverture piègent ces nitrates et les empêchent de s'infiltrer dans les eaux souterraines et les cours d'eau. Les cultures de couverture remplissent non seulement les champs pendant la majeure partie de l'année, mais aussi les poches des agriculteurs. L'année suivant l'application d'une culture de couverture à l'automne, les participants ont constaté une hausse de 10 % du rendement de la pomme de terre, sur la vingtaine de champs prêtés par des agriculteurs dans le cadre de cette activité du Laboratoire vivant – Atlantique. Selon ces résultats, M. Barrett affirme que le rendement d'un investissement de 25 $ à 50 $ par acre dans les cultures de couverture pourrait dépasser les 500 $ par acre grâce à la hausse du rendement de la pomme de terre.
Les scientifiques Nyiraneza, Ryan et Brandon considèrent aujourd'hui que l'adoption de cultures de couverture semées à l'automne est une solution évidente et gagnante-gagnante pour les agriculteurs.
« Voir les résultats des études effectuées par le Laboratoire vivant – Atlantique se concrétiser directement par nos méthodes de production et dans nos champs est, disons-le simplement, le meilleur type de recherche. L'étude des cultures de couverture dans nos propres champs, par nos propres moyens, a donné à notre ferme la certitude que cette méthode était tout à fait bénéfique de A à Z. En conséquence, d'autres agriculteurs constatent aujourd'hui que les cultures de couverture valent la peine qu'on y consacre du temps et des investissements pour le bien de nos exploitations et de nos collectivités. »
– Brandon MacPhail, agriculteur, MacSull Farms Ltd.
D'autres agriculteurs de l'Île-du-Prince-Édouard suivent la tendance. La possibilité de pratiquer une agriculture durable tout en augmentant les rendements est ce qui rend les cultures de couverture si attrayantes pour les producteurs de pommes de terre à l'Île-du-Prince-Édouard. Aux débuts du Laboratoire vivant – Atlantique en 2019, moins de 24 % des surfaces consacrées aux pommes de terre avaient été ensemencées par des cultures de couverture à l'automne avant la plantation des pommes de terre. Selon les statistiques du PEI Potato Board, ce chiffre a doublé à la fin de 2022 pour atteindre près de 50 %, et devrait augmenter grâce au transfert du savoir entre pairs dirigé par le Laboratoire vivant – Atlantique et grâce aux financements offerts aux agriculteurs par le Fonds d'action à la ferme pour le climat d'AAC.
Ryan Barrett estime que l'Î.-P.-É. n'est pas un cas à part en ce qui concerne l'adoption des cultures de couverture d'automne, d'automne‑hiver et d'hiver et il espère que les conclusions de son équipe et le transfert de connaissances encourageront davantage de producteurs au Canada à adopter cette pratique.
« Chaque région est un peu différente, mais ces méthodes de culture de couverture sont certainement applicables à la plupart des provinces productrices de pommes de terre au Canada. Les producteurs de céréales et de graines oléagineuses ont également beaucoup d'occasions et de temps pour semer des cultures de couverture à l'automne après la récolte. Il y a certainement des progrès à faire et des essais à réaliser dans chaque région, en fonction du climat et des pratiques de production à l'échelle locale. »
– Ryan Barrett, spécialiste en recherche et en agronomie, PEI Potato Board
Les cultures de couverture préservent le sol pour l'avenir; Mme Nyiraneza souligne que la réduction de l'érosion est l'une des meilleures choses que les agriculteurs puissent faire pour leurs champs. À long terme, la précieuse couche arable est préservée, la matière organique se multiplie dans le sol et le rendement de la pomme de terre augmente. Toutefois, le travail sur les cultures de couverture n'est pas terminé. Le programme Solutions agricoles pour le climat étudiera le potentiel des cultures de couverture à réduire les émissions de gaz à effet de serre, alors que se poursuivent les efforts du Canada pour atteindre la carboneutralité d'ici 2040. Ce qui prouve qu'il reste encore des avantages à "couvrir" pour les cultures de couverture.
Principales découvertes (avantages)
- Grâce au Laboratoire vivant – Atlantique, les chercheurs et les agriculteurs ont découvert en collaboration les nombreux avantages que procurent les cultures de couverture, notamment l'amélioration de la santé des sols, du rendement, ainsi que la réduction de l'érosion des sols et du lessivage de l'azote.
- Sur une période de quatre ans, ils ont constaté une diminution de 25 à 30 % de la terre arable dans les bacs d'arrosage, même dans les champs où les cultures de couverture étaient à peine sorties du sol, confirmant leur capacité à réduire l'érosion des sols. Ils ont également constaté une réduction de 30 à 40 % de la quantité de nitrates dans la zone racinaire où des cultures de couverture ont été plantées.
- L'année suivant l'application d'une culture de couverture à l'automne, le rendement des cultures de pommes de terre s'est amélioré de 10 % en moyenne sur la vingtaine de champs prêtés par les agriculteurs. Un investissement de 25 $ à 50 $ par acre dans les cultures de couverture pourrait accroître de plus de 500 $ par acre les revenus tirés de la culture de pommes de terre.
- Aux débuts du Laboratoire vivant – Atlantique en 2019, moins de 24 % des surfaces consacrées à la production de pommes de terre avaient été ensemencées par des cultures de couverture à l'automne avant la plantation des pommes de terre. À la fin de l'année 2022, ce chiffre avait doublé pour atteindre près de 50 %; il devrait continuer à augmenter grâce au transfert du savoir entre pairs dirigé par les participants au Laboratoire vivant – Atlantique et grâce aux fonds mis à la disposition des agriculteurs par le Fonds d'action à la ferme pour le climat.