Indicateur du phosphore

Auteurs : Keith Reid, Kimberley Schneider et Antoun El Khoury

Problématique

Le phosphore (P) est un élément nutritif essentiel aux plantes et aux animaux. Il est ajouté aux sols agricoles comme engrais minéral lorsque les réserves du sol ne suffisent pas à maintenir le rendement des cultures, ou sous forme de fumier de bétail ou de biosolides. Depuis le début des années 1950, l’intensification de la production agricole et de l’élevage a engendré dans certaines régions des applications de P supérieures aux quantités retirées dans la partie récoltée des cultures. Avec le temps, les excédents de P accumulés ont fini par enrichir le sol et par accroître le risque que le P du sol soit rejeté et transporté par ruissellement depuis les champs agricoles. Le risque de perte de P dépend de deux facteurs, soit la source de P et le transport du P, qui peuvent varier selon les conditions locales et régionales et les conditions météorologiques. Par conséquent, les périodes de ruissellement élevé, comme la fonte des neiges au printemps et les précipitations abondantes, augmentent le risque de rejet et de transport du P dans les plans d’eau douce.

Dans les systèmes naturels d’eau douce, le P est présent en très faible concentration, mais cette concentration varie considérablement en fonction de la taille du cours d’eau et des caractéristiques de l’écosystème. Des hausses relativement faibles de la concentration de P dans les eaux douces de surface peuvent contribuer à l’eutrophisation de rivières et de lacs ainsi qu’à la prolifération d’algues nocives ou nuisibles. Ces phénomènes entraînent une diminution de la qualité de l’eau ainsi que des restrictions en matière de baignade, d’eau potable et d’activités récréatives, ce qui a des répercussions sociales et économiques sur la collectivité locale (Watson et al., 2016). Ces phénomènes ont été particulièrement marqués dans des lacs relativement peu profonds dont une grande partie du bassin hydrographique était affectée à des activités agricoles ou à des utilisations urbaines, comme le lac Winnipeg (Manitoba), le lac Érié et la baie Missisquoi du lac Champlain. Bien que le phosphore ne provienne pas seulement de l’agriculture – les eaux usées municipales et industrielles, les eaux usées résidentielles et les fuites des fosses septiques en apportent aussi – d’importants efforts ont été déployés pour réduire ou atténuer les sources agricoles. Il peut être difficile de gérer les sources agricoles de P par rapport aux sources urbaines en raison des mécanismes de transport concernés et du fait qu’il s’agit de sources de pollution diffuses, sans point unique de rejet à « colmater ». Les pratiques de gestion bénéfiques (PGB) agricoles se sont concentrées sur l’utilisation plus efficace du P pour favoriser son absorption par les plantes, ce qui s’est traduit par une baisse de l’utilisation d’intrants, et sur l’atténuation du déplacement du P dans le paysage pour réduire la contamination des plans d’eau douce.

Indicateur

L’indicateur du risque de contamination de l’eau par le phosphore (IRCE-P) a été mis au point pour évaluer l’état et la tendance temporelle du risque de contamination des eaux de surface par le P provenant des terres agricoles canadiennes. Il est calculé pour 3487 polygones de Pédo-paysages Canada (PPC) contenant plus de 5 % de terres agricoles. Les rapports précédents ont regroupé les données pour ces polygones en 280 bassins hydrographiques, mais le présent rapport est plus détaillé. La structure de l’IRCE-P suit celle d’un indice par composantes de P (Reid, Schneider, & McConkey, 2018), et tient compte des quatre composantes suivantes :

  • Le P dissous du sol, où la source de P (estimée d’après le bilan cumulé du P et le degré de saturation en P résultant) est multipliée par le volume modélisé de la surface plus le ruissellement souterrain.
  • Le P dissous lié à l’application d’engrais minéraux à base de P ou de fumier de bétail. Le P disponible pour le ruissellement est estimé à partir des taux d’application, de la solubilité de la source de P, du moment de l’application et du degré d’incorporation. Un facteur de répartition du P est utilisé pour calculer la quantité de P retenue dans le champ quand l’eau s’infiltre dans le sol et la quantité de P transportée par ruissellement.
  • Le P dissous provenant de la végétation hivernante, estimé à partir de la quantité de P dans la végétation qui est rejetée sous forme de P soluble, modifiée par la part de ce P qui s’infiltre dans le sol. Les pertes de P sont les plus grandes lorsqu’il n’y a aucune perte avant le dégel printanier et que le ruissellement se produit sur des sols gelés qui ne peuvent pas absorber le P.
  • La part biodisponible du P particulaire provenant de l’érosion du sol. La quantité d’érosion hydrique est calculée dans l’indicateur d’érosion du sol (IREH) et multipliée par la concentration en P du sol mesurée pour estimer la part du P particulaire qui pourrait contribuer à l’eutrophisation.

Pour chacune des composantes, le transport hors du champ est estimé à partir du ruissellement de surface et de la part du drainage souterrain qui a atteint les tuyaux par écoulement rapide ou préférentiel à travers des tunnels de vers de terre, des canaux radiculaires ou des fissures de dessèchement dans le sol. La livraison de P depuis le champ jusqu’aux eaux de surface est estimée à partir de la densité du cours d’eau, du relief de surface dominant et de la connectivité entre les tuyaux de drainage.

Des résultats sont fournis pour l’accumulation de P dans les sols au Canada (source de P dans le sol), le risque global de perte de P en bordure de champ et le risque de perte de P dans les eaux de surface (IRCE-P). Les valeurs pour le risque de perte en bordure de champ et l’IRCE-P ont été regroupées en cinq catégories de risque (très faible, faible, modéré, élevé et très élevé). Les catégories de risque sont des classements relatifs selon lesquels 50 % des polygones de PPC sont classés dans la catégorie de risque très faible et la tranche supérieure de 5 % entre dans les catégories de risque élevé et très élevé.

Mises à jour depuis le rapport no 4

Plusieurs changements ont été apportés afin de mieux refléter le risque de déplacement du P depuis les terres agricoles. Les voici :

  • Les valeurs initiales de P mesurées ont été modifiées pour l’Ontario afin qu’elles reflètent les taux élevés d’application d’engrais et de fumier dans les années 1960 et 1970. Les valeurs initiales à l’échelle provinciale avaient été modifiées dans les versions antérieures de l’indicateur, mais pour le présent indicateur, les données sur le bilan de P ont été recueillies à l’échelle nationale pour obtenir une meilleure discrétisation spatiale.
  • La répartition du P provenant d’engrais dans les polygones de PPC est fondée sur la valeur relative des achats d’engrais par les différents types d’exploitation dans chaque polygone plutôt que sur l’hypothèse que le P provenant du fumier a déplacé le P provenant d’engrais.
  • Des composantes ont été ajoutées pour tenir compte des pertes de P attribuables à l’application d’engrais ou de fumier et des pertes provenant de la végétation hivernante.
  • Le calcul des pertes éventuelles de P par les tuyaux de drainage a été actualisé pour mieux estimer la part d’écoulement rapide dans les tuyaux.
  • L’harmonisation avec d’autres indicateurs a été améliorée, notamment par l’utilisation d’un modèle hydrologique commun (le module hydrologique du modèle DNDC) pour prédire le ruissellement, l’utilisation de la répartition du fumier sur les terres agricoles calculée par l’IRCE-N et l’utilisation des données sur l’érosion hydrique tirées de l’indicateur d’érosion du sol pour calculer les pertes de P particulaire.
  • Le calcul du ruissellement est fondé sur un fichier résumé des conditions météorologiques qui représente la température normale et les régimes de précipitations pour chaque polygone de PPC. Les variations de l’état de l’indicateur sont donc attribuables aux changements en matière de gestion des cultures plutôt qu’à des conditions météorologiques extrêmes.
  • Les résultats ont été rapportés par polygone de PPC plutôt que regroupés par bassin hydrographique, ce qui permet d’obtenir des profils spatiaux plus détaillés du risque de perte de P.

Limites

L’IRCE-P évalue le risque associé au P de source agricole. Le P ne provenant pas de l’agriculture n’est pas pris en compte. Le calcul des apports de P et du bilan cumulé de P est fondé sur les données du Recensement de l’agriculture de 1981 à 2016. À l’exception de l’Ontario, on ne dispose pas de suffisamment de données pour tenir compte de l’enrichissement en P avant 1976.

Les données sur le moment de l’application d’éléments nutritifs et la méthode d’application sont tirées de l’Enquête sur la gestion agroenvironnementale, qui ne différencie toutefois pas les types d’engrais. Un certain degré d’incertitude entoure donc l’incorporation et le moment d’application d’engrais à base de P plus particulièrement.

La portée spatiale du drainage souterrain est mal recensée, surtout dans les provinces où cette pratique est relativement nouvelle.

Le calcul de l’IRCE-P tient compte de la plupart des PGB qui permettent de réduire les pertes de P à la source, mais seulement de quelques PGB qui atténuent le déplacement du P dans le paysage, ce qui s’explique par le manque de données exhaustives sur l’adoption de PGB à l’échelle nationale pour des pratiques comme l’utilisation de bandes tampons ou de cultures couvre-sol.

Les données sont regroupées à l’échelle des polygones de PPC. On s’attend donc à une variation importante à l’intérieur de ces polygones en ce qui concerne l’accumulation du P dans le sol, le taux, la méthode et le moment d’application ainsi que l’érosion hydrique. Selon l’emplacement des « points chauds » de perte de P, le risque réel de perte de P dans les eaux de surface peut différer des valeurs regroupées.

Résultats et interprétation

Des régions ayant une source élevée ou très élevée de P dans le sol (correspondant à >4 ou >5 mg de P extractible à l’eau [PEE] par kg de sol, respectivement) sont présentes dans chaque province, à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard, les pourcentages les plus élevés de terres agricoles dans ces catégories se trouvant à Terre-Neuve-et-Labrador, au Manitoba et en Ontario (tableau 2 et figure 1). Le phosphore s’accumule dans le sol quand les ajouts de P sous forme d’engrais, de fumier ou d’une combinaison des deux sont supérieurs aux quantités retirées dans la partie récoltée des cultures (figure 2). Les plus importantes accumulations au début de la période d’étude se trouvaient dans le sud-ouest de l’Ontario, mais les teneurs en P du sol dans cette région sont restées stables ou ont diminué légèrement dans l’intervalle de 35 ans. Il y a eu des hausses des teneurs en P du sol dans des poches au pays où il y avait un élevage intensif ou des concentrations de cultures horticoles de grande valeur (Reid et Schneider, 2019). Les tendances provinciales des apports de P au fil du temps sont présentées aux figures 3 (P provenant du fumier) et 4 (P provenant d’engrais). Le PEE du sol est estimé à partir de l’accumulation du P dans le sol et de la facilité avec laquelle le P peut se désorber dans l’eau de ruissellement. Cette désorption est plus forte pour les sols essentiellement alcalins des Prairies que pour les sols acides du Québec et de l’Atlantique. Bien que la désorption représente une source potentielle à long terme d’exportation de P depuis les terres agricoles (c'est-à -dire le P résiduel), le risque de contamination de l’eau à partir de cette source dépend aussi de la quantité de ruissellement annuel et de la connectivité du paysage aux eaux de surface.

La figure 1 illustre la saturation du phosphore dans le sol, codée par couleur en fonction des niveaux de saturation.

Figure 1 : Saturation du sol en P (P extractible à l’eau) au Canada en 2016

Tableau 1 : Pourcentage de terres agricoles dans les différentes catégories de l’IRCE-P, de 1981 à 2016

Classe

Année

Colombie-Britannique

Alberta

Saskatchewan

Manitoba

Ontario

Québec

Nouveau-Brunswick

Nouvelle-Écosse

Île-du-Prince-Édouard

Terre-Neuve-et-Labrador

Canada

Très faible

1981

18

16

32

5

8

7

47

29

2

75

29

1986

21

14

22

6

8

7

45

27

2

71

16

1991

16

12

25

7

7

7

46

26

2

66

16

1996

15

13

23

3

7

7

45

24

2

64

16

2001

17

17

21

2

7

7

50

24

1

66

16

2006

16

13

21

6

7

6

40

21

1

67

15

2011

27

13

29

6

7

7

45

24

1

64

19

2016

26

16

47

7

7

7

51

25

1

53

28

Faible

1981

64

60

61

64

12

37

46

66

74

25

55

1986

58

49

67

48

11

30

44

61

28

29

52

1991

58

45

66

53

15

31

42

57

59

34

52

1996

54

45

65

36

13

27

41

54

12

36

49

2001

56

61

66

29

14

26

38

57

36

34

54

2006

65

49

65

32

12

22

38

52

8

33

50

2011

56

42

61

34

17

22

31

53

6

36

46

2016

60

52

49

36

18

23

26

53

4

33

45

Modérée

1981

17

22

7

31

16

40

0

6

25

0

17

1986

17

33

11

34

15

38

4

12

53

0

22

1991

19

36

9

28

22

36

5

17

23

0

22

1996

29

34

11

39

18

28

7

18

70

0

23

2001

22

20

12

37

14

25

4

19

47

0

18

2006

17

28

13

31

15

24

15

24

74

0

21

2011

13

33

10

31

18

25

16

20

61

0

21

2016

10

23

3

30

22

27

13

19

52

14

15

Élevée

1981

2

2

0

0

27

9

7

0

0

0

4

1986

3

4

0

12

24

18

7

0

16

0

6

1991

7

7

0

12

28

18

7

0

16

0

7

1996

2

2

<1

21

26

28

7

3

16

0

8

2001

5

8

<1

32

22

27

0

0

16

0

7

2006

3

9

<1

31

31

31

0

3

31

0

10

2011

3

12

<1

29

22

29

0

3

31

0

10

2016

3

8

<1

26

26

26

2

3

27

0

9

Très élevée

1981

0

0

0

0

36

7

0

0

0

0

4

1986

0

<1

0

0

41

8

0

0

0

0

4

1991

0

<1

0

0

27

8

0

0

0

0

3

1996

0

<1

0

0

36

10

0

0

0

0

4

2001

0

0

0

0

43

15

8

0

0

0

4

2006

0

0

0

0

35

17

8

0

0

0

4

2011

<1

0

0

0

36

17

8

0

0

0

4

2016

<1

0

0

<1

27

17

8

0

16

0

30

Tableau 2 : Pourcentage de terres agricoles dans chaque catégorie de risque selon la source de P, par année de recensement

Classe

Année

Colombie-Britannique

Alberta

Saskatchewan

Manitoba

Ontario

Québec

Nouveau-Brunswick

Nouvelle-Écosse

Île-du-Prince-Édouard

Terre-Neuve-et-Labrador

Canada

Très faible

1981

88

100

100

100

18

100

100

100

100

91

92

1986

77

99

100

82

18

96

91

98

100

37

90

1991

71

94

98

59

18

89

87

81

100

5

85

1996

64

86

93

37

20

83

84

79

100

2

78

2001

63

71

93

25

23

73

73

70

80

1

71

2006

60

64

92

23

31

70

73

64

70

1

69

2011

59

60

92

22

32

66

72

59

68

0

67

2016

58

58

92

25

34

62

72

50

64

0

67

Faible

1981

6

0

0

0

50

<1

<1

0

0

9

5

1986

5

<1

<1

14

36

3

8

1

0

30

5

1991

8

5

2

26

28

5

4

12

0

20

8

1996

8

11

6

36

24

7

3

10

0

5

13

2001

6

21

3

34

22

15

11

9

20

4

14

2006

6

22

2

23

15

16

10

12

30

1

13

2011

5

20

1

20

15

18

11

14

32

1

12

2016

4

15

1

11

17

17

3

21

9

1

9

Modérée

1981

3

0

0

0

18

18

0

0

0

0

2

1986

4

<1

0

4

23

<1

0

<1

0

14

3

1991

3

<1

0

9

28

3

9

6

0

30

4

1996

6

2

<1

12

26

4

4

4

0

18

5

2001

5

5

4

16

21

5

5

9

0

12

8

2006

3

9

2

17

17

5

4

4

0

4

7

2011

3

12

2

18

13

5

1

5

0

5

8

2016

3

17

2

17

12

9

9

5

27

1

10

Élevée

1981

1

0

0

0

8

0

0

0

0

0

<1

1986

5

<1

0

0

8

<1

0

<1

0

11

<1

1991

3

<1

0

3

8

2

0

<1

0

13

1

1996

3

<1

0

9

7

3

8

6

0

24

2

2001

5

2

<1

11

11

3

1

5

0

7

3

2006

5

3

4

14

14

6

4

10

0

17

5

2011

4

3

4

10

17

6

6

5

0

15

6

2016

3

5

<1

12

14

5

4

5

0

10

5

Très élevée

1981

2

0

0

0

7

0

0

0

0

0

<1

1986

8

0

0

0

15

<1

<1

0

0

8

2

1991

15

<1

0

2

18

<1

<1

<1

0

32

2

1996

19

<1

0

6

22

3

<1

1

0

51

3

2001

21

<1

0

13

23

4

9

7

0

76

4

2006

27

1

<1

23

23

4

9

10

0

77

6

2011

29

4

<1

31

22

5

10

16

0

79

8

2016

32

5

4

35

23

6

12

19

0

88

10

La description de cette image suit

Figure 2 : Bilan de P (kg ha-1) par province, de 1981 à 2016

Description de la Figure 2
Figure 2 : Bilan de P (kg ha-1) par province, de 1981 à 2016

Province

1981

1986

1991

1996

2001

2006

2011

2016

Colombie-Britannique

6.7

6.2

7.9

10.1

10.4

11.1

6.7

4.9

Alberta

3.1

0.7

1.8

3.4

5.6

2.8

0.3

0.9

Saskatchewan

0.5

1.4

1.5

0.5

1.0

0.5

2.4

2.3

Manitoba

3.2

2.5

2.6

4.7

4.1

4.3

3.1

3.7

Ontario

9.6

8.1

4.6

0.8

0.7

4.5

0.6

1.6

Québec

14.2

15

17.3

11.3

8.4

2.3

9.3

5.1

Provinces de l’Atlantique

19.3

21.5

23.3

20.3

21.4

17.5

14.1

41

Les apports totaux de P aux terres agricoles ont légèrement varié de 1981 à 2016, les fluctuations d’une année à l’autre étant plus importantes pour le P minéral (figure 4) que pour le P provenant du fumier (figure 3). Lorsque les apports sont ventilés par province, toutefois, un déclin graduel du P provenant du fumier est manifeste dans les provinces de l’Est et s’accompagne d’une hausse graduelle en Alberta, au Manitoba et en Colombie-Britannique (figure 3).

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Figure 3 : Tendances des apports de P provenant du fumier, par province, de 1981 à 2016

Description de la Figure 3
Figure 3 : Tendances des apports de P provenant du fumier, par province, de 1981 à 2016

Province

1981

1986

1991

1996

2001

2006

2011

2016

Colombie-Britannique

13

12.3

12.8

15.3

14.8

16.4

14.7

15.3

Alberta

4.3

3.7

4.2

4.9

5.4

5.2

4.4

4.3

Saskatchewan

1.8

1.4

1.5

1.8

1.6

1.9

1.6

1.3

Manitoba

3.1

2.9

2.7

3.4

3.6

4.1

3.5

3.2

Ontario

10.2

9.7

9.4

9.1

8.8

8.8

8

7.9

Québec

13.4

12.8

13.1

13.4

12.8

12.7

12.3

12.1

Nouveau-Brunswick

9.9

11.7

11

10.4

10.3

9.8

8.3

7.3

Nouvelle-Écosse

15.6

15.9

16.3

16.2

14.5

15

12.4

12.5

Île-du-Prince-Édouard

7.3

7.8

7.5

7.2

6.4

6.5

4.9

4.6

Terre-Neuve-et-Labrador

42.9

43.5

47.6

45.2

25.8

31.1

32.9

25.5

Canada

4.4

3.8

3.9

4.3

4.4

4.6

4.1

3.8

Les applications de P minéral varient davantage, car les agriculteurs s’adaptent aux prix relatifs des cultures et des engrais. Dans les Prairies, on observe une tendance de forte application de P minéral (figure 4), qui peut être liée à la transition d’un système de jachère d’été à un système de culture continue. Les apports très élevés de P minéral dans les provinces de l’Atlantique en 2016 semblent constituer une anomalie.
 

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Figure 4 : Tendances des apports de P minéral, par province, de 1981 à 2016

Description de la Figure 4
Figure 4 : Tendances des apports de P minéral, par province, de 1981 à 2016

Province

1981

1986

1991

1996

2001

2006

2011

2016

Colombie-Britannique

4.5

4.2

4.5

5.2

4.2

3.1

3

1.8

Alberta

6.6

5.9

5.7

6.4

6.2

6.3

7

8.4

Saskatchewan

4.8

4.7

4.2

6.6

5.2

5.3

5.8

8.5

Manitoba

8

8.8

8.9

11.1

9.1

10.7

10.1

15.1

Ontario

15.7

15.4

11.5

6.9

5.3

6.5

12.1

15.6

Québec

13.6

16.2

16

13.5

9.8

7

13.8

13.9

New Brunswick

13.9

16.2

16

16.9

17.4

15.3

15.1

39.2

Nouvelle-Écosse

10

10.6

11.2

12.6

13.3

11

10.1

28.2

Île-du-Prince-Édouard

27.1

29.2

30.1

31.7

30.8

26.6

25.4

65.4

Terre-Neuve-et-Labrador

20.6

19.1

21.6

23.1

17.9

14.9

15.1

35.4

Canada

7.3

7.1

6.5

7.5

6.3

6.5

7.7

10.4

Le risque annuel de perte de P en bordure de champ (figure 5) correspond à la somme des quatre composantes de perte de P, mais ne tient pas compte de la livraison de P depuis les bordures des champs jusqu’aux eaux de surface. Les régions comportant un risque élevé ou très élevé présentent une source élevée de P dans le sol, un fort ruissellement et un potentiel d’érosion élevé attribuables à un climat relativement humide, ainsi que des taux annuels élevés d’application de P sous forme d’engrais ou de fumier. Le modèle utilisé pour prédire le ruissellement tient compte des variations en matière de transport et d’hydrologie causées par une modification de l’utilisation des terres (par exemple fourrages aux cultures en rangées) et du système de travail du sol (travail classique à aucun travail). Le sud-ouest de l’Ontario, le sud du Québec et des parties du Manitoba présentent le risque le plus élevé. Il convient toutefois de noter que le pourcentage des terres du Manitoba entrant dans la catégorie de risque élevé a considérablement diminué en ce qui a trait à la source de P dans le sol. Cette situation est attribuable au ruissellement annuel relativement faible dans l’environnement des Prairies ainsi qu’au faible risque associé aux autres composantes de perte de P (faible érosion du sol dans un paysage plat et fort épandage d’engrais sous la surface, ce qui diminue les pertes accessoires). Afin de calculer le risque de contamination de l’eau, le risque de perte en bordure de champ est modifié par la part de ruissellement depuis le champ qui est susceptible d’atteindre les eaux de surface, laquelle est fonction de la densité du cours d’eau, du relief et du pourcentage de terres soumises au drainage souterrain.

La figure 5 illustre le risque de perte de phosphore en bordure du champ, avec un code couleur basé sur les niveaux de risque.

Figure 5 : Risque de perte de phosphore en bordure de champ au Canada en 2016

Le risque global de contamination de l’eau est calculé en multipliant le risque de perte en bordure de champ par un modificateur de transport tenant compte de la quantité de ruissellement et de la connectivité du paysage aux eaux de surface (distance jusqu’aux cours d’eau ou prévalence des tuyaux de drainage). Les catégories de risque élevé et très élevé de contamination de l’eau sont concentrées en Ontario et au Québec, puis au Manitoba et à l’Île-du-Prince-Édouard (tableau 1 et figure 6). De petites régions de risque élevé sont également présentes en Colombie-Britannique, en Alberta et au Nouveau-Brunswick. Dans la majeure partie du pays, cette situation est associée à de fortes concentrations de bétail, tandis qu’à l’Île-du-Prince-Édouard, elle découle de la forte érosion et des taux annuels élevés d’application d’engrais à base de P associés à la production de pommes de terre.

La figure 6 illustre le risque de contamination de l'eau par le phosphore, codé par couleur en fonction des niveaux de risque.

Figure 6 : Risque de contamination de l’eau par le phosphore au Canada en 2016

À l’échelle nationale, le risque de contamination de l’eau par le P est demeuré stable depuis 1981, bien qu’il y ait eu d’importants changements sur le plan géographique (tableau 1 et figure 7). La plupart des PPC du sud de l’Ontario ont présenté une amélioration, mais celle-ci est surtout attribuable au fait que des risques élevés ou très élevés sont devenus modérés. Il reste donc beaucoup de travail à faire. Plusieurs poches dans les provinces de l’Atlantique montrent un déclin. De vastes régions de l’Ouest canadien affichent des tendances à la détérioration (figure 7), mais il s’agit dans ces cas de risques très faibles qui sont devenus faibles ou modérés.

La figure 7 illustre l'évolution du risque de contamination de l'eau par le phosphore entre 1981 et 2016, avec un code couleur basé sur les niveaux de changement de risque.

Figure 7 : Changement de catégorie de risque de contamination de l’eau à partir des terres agricoles au Canada de 1981 à 2016

Les ensembles de données complets des sorties de l’algorithme de l’IRCE-P pour chaque année entre 1981 et 2016 sont accessibles sur le site Web de données ouvertes.

Options d’intervention

Les données générées pour chaque composante de perte de P dans le cadre de la présente évaluation montrent que l’importance du risque de perte de P est semblable pour l’érosion du sol et la désorption du P à partir du sol, tandis que les pertes attribuables à l’application d’engrais ou de fumier en représentent environ le dixième en moyenne. La perte de P à partir de la végétation hivernante ne semble pas contribuer de façon importante au risque, bien que les auteurs reconnaissent que les données nécessaires pour bien évaluer cette source ne sont pas disponibles.

L’importance relativement faible des pertes attribuables à l’application de P montre que de nombreux agriculteurs ont déjà adopté les principes de la Gérance des nutriments 4B et appliquent la plupart des engrais à base de P en bandes sous la surface au moment de la plantation (Bruulsema, Peterson, & Prochnow, 2019). Toutefois, ce n’est pas le cas dans toutes les régions, et encourager l’ensemble des agriculteurs à adopter ou à maintenir des pratiques exemplaires d’application de P aura d’importants effets à l’échelle locale. Il existe aussi un risque qu’à mesure que les activités agricoles prennent de l’ampleur, les économies de temps et de travail liées à l’application de P à la volée plutôt qu’en bandes incitent certains agriculteurs à adopter des pratiques de gestion du P moins appropriées.

L’accumulation de P dans les sols agricoles représente un risque à long terme pour la qualité de l’eau, étant donné que ces sols continueront de rejeter d’importantes concentrations de P dissous et particulaire pendant des dizaines d’années jusqu’à ce que les teneurs du sol en P soient réduites par le prélèvement des cultures. L’élevage présente une difficulté particulière, car le fumier généré par la production de viande ou de lait ne peut être facilement transporté à peu de frais jusqu’à des champs éloignés qui bénéficieraient des éléments nutritifs contenus dans le fumier. La première étape consiste donc à réduire ou à éliminer les apports de P dans les champs qui renferment déjà plus de P que la teneur nécessaire pour une production agricole optimale. L’analyse des sols constitue un outil important pour déterminer les champs qui ont besoin ou non d’apports supplémentaires de P. Permettre le transfert du fumier des exploitations d’élevage aux exploitations de culture peut réduire les excédents locaux. Selon les circonstances locales, il peut s’agir du fumier entier ou de composantes du fumier extraites durant le traitement (par exemple séparation solide-liquide visant à concentrer le P dans la fraction solide). L’alimentation de précision peut permettre de réduire la concentration de P dans le fumier en ne fournissant que le P nécessaire à une espèce de bétail précise à un âge donné. À long terme, ces pratiques de gestion des cultures et du bétail peuvent permettre de réduire graduellement la quantité de P dans le sol susceptible d’être transportée vers les eaux de surface et de rétablir, dans les écosystèmes agricoles, un risque faible de contamination de l’eau par le P.

La diminution de l’érosion du sol et du ruissellement de surface par la réduction du travail du sol et de la rotation des cultures, dont les fourrages, aidera à prévenir les pertes de P dans les eaux de surface, bien que les données actuelles montrent qu’elle pourrait avoir plus d’incidence sur les pertes de P particulaire que sur celles de P dissous (Duncan et al., 2019). La mise en œuvre de PGB visant à freiner le déplacement du P dans le réseau de drainage, comme l’établissement de bandes tampons autour des plans d’eau, réduira le risque de contamination des eaux de surface par le P. Toutefois, ces bandes ne sont pas aussi efficaces dans toutes les régions et peuvent nuire aux activités agricoles. Pour rendre cette pratique plus économiquement acceptable pour les producteurs, il faudrait favoriser l’utilisation d’espèces végétales qui présentent un intérêt économique pour l’établissement des bandes tampons.

L’IRCE-P permet de déterminer les régions qui présentent un risque élevé de contamination de l’eau par le P d’origine agricole. Un examen approfondi des pratiques agricoles dans ces régions pourrait révéler les caractéristiques régionales qui contribuent au risque de contamination par le P. Ces renseignements pourraient faciliter la réalisation de recherches ou la prise de mesures d’atténuation ciblées, par opposition à l’application d’une approche universelle (Macrae et al., 2021).

L’incorporation de données sur les PGB nouvelles ou existantes ayant eu une incidence importante sur la source de P et le transport du P pourrait permettre d’améliorer l’IRCE-P. Comme il manque actuellement de données nationales sur la portée et l’emplacement de ces PGB, elles ne sont pas bien prises en compte dans l’algorithme actuel de l’indicateur.

Références

Bruulsema, T. W., Peterson, H. M., & Prochnow, L. I. (2019). The Science of 4R Nutrient Stewardship for Phosphorus Management across Latitudes. Journal of Environment Quality, 48(5), 1295-1299. doi:10.2134/jeq2019.02.0065

Duncan, E. W., Osmond, D. L., Shober, A. L., Starr, L., Tomlinson, P., Kovar, J. L., . . . Reid, K. (2019). Phosphorus and Soil Health Management Practices. Agricultural & Environmental Letters, 4(1), 1-5. doi:10.2134/ael2019.04.0014

Macrae, M., Jarvie, H., Brouwer, R., Gunn, G., Reid, K., Joosse, P., . . . Zwonitzer, M. (2021). ..One size does not fit all: towards regional conservation practice guidance to reduce phosphorus loss risk in the lake erie watershed. J Environ Qual, 50(3), 529-546. doi:https://doi.org/10.1002/jeq2.20218

Reid, K. and Schneider, K. (2019). Phosphorus accumulation in Canadian agricultural soils over 30 years. Canadian Journal of Soil Science, 99(4), 520-532. doi: 10.1139/cjss-2019-0023

Reid, K., Schneider, K., & McConkey, B. (2018). Components of Phosphorus Loss From Agricultural Landscapes, and How to Incorporate Them Into Risk Assessment Tools. Frontiers in Earth Science, 6(135). doi:10.3389/feart.2018.00135

Watson, S. B., Miller, C., Arhonditsis, G., Boyer, G. L., Carmichael, W., Charlton, M. N., ... & Wilhelm, S. W. (2016). The re-eutrophication of Lake Erie: Harmful algal blooms and hypoxia. Harmful algae, 56, 44-66.