Gestion durable des terres agricoles voisines des milieux humides dans les Prairies canadiennes

Introduction

Avant l'aménagement des prairies en vue de la production agricole, de nombreuses terres humides naturelles faisaient partie intégrante des écosystèmes des prairies et des prairies parcs. Bien que beaucoup d'incertitude entoure les pertes de terres humides, on estime qu'elles atteignent jusqu'à 70 % dans les régions peuplées du Canada (Source : Inventaire canadien des terres humides, 2008), et que 84 % de ces pertes sont attribuables au drainage en vue de la production agricole (Source : Service canadien de la faune, 1991).

Les terres humides qui subsistent dans les champs utilisés pour la production agricole posent souvent d'importants défis aux agriculteurs. Parallèlement, ces terres humides assument d'importantes fonctions dans l'écosystème. Au cours des dernières décennies, un nombre grandissant de programmes environnementaux ont encouragé les agriculteurs à remettre en état et à conserver les terres humides naturelles. Ces programmes ont donné quelques bons résultats dans certaines régions, mais, dans d'autres, le drainage des terres humides se poursuit.

L'aménagement des terres humides est un bon exemple de cas où les perspectives écologiques et agricoles sont souvent largement divergentes. Cependant, la réalité est que la fonction écosystémique et la production agricole ont coexisté dans le paysage des prairies depuis le début de l'agriculture et continueront de le faire à l'avenir. La tâche revient à concevoir des systèmes d'aménagement des terres qui permettent à ces deux activités de se perpétuer. La présente publication contient de l'information et des recommandations qui permettent de profiter des avantages optimaux d'un bon équilibre entre la fonction écosystémique et la production agricole.

Comprendre les terres humides naturelles

Les terres humides se trouvent en général dans les zones basses considérablement imprégnées de l'eau qui se trouve à la surface ou à sa proximité. Elles comprennent non seulement les étendues d'eau libres comme les marécages et les sources, mais aussi les zones riveraines immédiatement en amont des masses d'eau.

La région riveraine, définie simplement comme l'interface entre la terre et l'eau, comprend différentes zones caractérisées par divers degrés et durées d'accumulation d'eau ou de saturation du sol. L'une des caractéristiques communes à ces zones tient dans ce qu'elles assurent les besoins essentiels d'organismes aimant l'eau. En général, ces zones sont structurées en cercles concentriques ou en bandes, dont chacun abrite un ensemble unique d'organismes adaptés à son environnement particulier. Les végétaux comprennent les espèces tant végétatives que ligneuses et sont, pour la plupart, vivaces.

La taille du milieu imbibé et les aires de végétation qui l'entourent fluctuent selon les saisons et d'une année à l'autre en raison de cycles d'inondation et d'assèchement. Cependant, les organismes adaptés aux terres humides ont la capacité de se déplacer latéralement vers le haut ou le bas de la pente selon le cas. Bon nombre peuvent aussi créer des « banques de semences » qui demeurent dormantes lorsque les conditions ne sont pas propices à la croissance, mais qui se développent lorsque les conditions s'améliorent (Source : Leck, 1989). Par conséquent, les terres humides naturelles, bien que jamais statiques, peuvent demeurer saines dans un environnement changeant.

Les terres humides naturelles remplissent un certain nombre de fonctions écologiques précieuses. Évidemment, ces régions possèdent une importante biodiversité, car en général elles abritent le plus grand nombre de populations d'espèces dans le paysage. Elles assurent également un habitat à un grand nombre d'espèces animales, en provenance des milieux secs avoisinants, qui entrent dans les zones humides et en sortent. De plus, les terres humides contribuent à :

  • Préserver la qualité de l'eau en filtrant les éléments nutritifs et les pesticides, en emprisonnant les sédiments et en stabilisant les côtes et les berges, les protégeant ainsi contre l'érosion.
  • Servir de tampon pour l'approvisionnement en eau en retenant l'eau durant les sécheresses, en la libérant lentement pour éviter les dommages par les inondations et en reconstituant les nappes d'eau souterraines.
  • Réduire les gaz à effet de serre en accumulant et en entreposant le carbone dans le sol.
La description de cette image suit.
Terres humides naturelles dans un paysage agricole

Drainage des terres humides

Les terres humides des prairies canadiennes sont drainées habituellement en modifiant l'écoulement superficiel plutôt qu'en augmentant l'écoulement souterrain par l'installation de drains. Dans la plupart des cas, le drainage prend la forme de l'abaissement de l'exutoire superficiel et d'une modification des voies d'eau en aval par la construction de canaux ou de fossés. Le drainage superficiel est beaucoup moins coûteux que l'installation de drains et plus adapté aux paysages des prairies où les systèmes culturaux sont beaucoup moins intensifs.

Le nombre actuel de projets de drainage est probablement inférieur aux chiffres historiques pour deux raisons. D'abord, la réglementation peut limiter la pratique dans une certaine mesure. La deuxième raison est économique et dépend de deux facteurs déterminants : la productivité de la culture sur une terre drainée et le coût de la mise en place d'ouvrages de drainage. On pourrait supposer qu'historiquement la pratique était appliquée principalement aux terres humides qui pouvaient être drainées le plus facilement et qu'avec le temps le coût du drainage augmenterait. Néanmoins, une étude récente laisse croire que les possibilités de drainage économiquement faisable dans le centre-est de la Saskatchewan sont encore élevées (Source : Cortus, 2006).

Le drainage des terres humides a d'autres effets comme le déversement d'une plus grande quantité d'eau vers les parties plus basses d'un bassin hydrographique, contribuant ainsi à l'augmentation des risques d'inondation dans les champs, les terres humides, les cours d'eau et les lacs des terres basses durant les années de forte humidité. Dans la partie supérieure du bassin hydrographique, le drainage peut contribuer à réduire l'alimentation de la nappe souterraine ainsi que l'évaporation. Ces changements peuvent avoir des effets plus vastes sur le cycle hydrologique et la production agricole dans des régions particulières, mais ces effets sont difficiles à confirmer ou à évaluer quantitativement.

Effets du sol/du paysage/du climat sur les terres humides

1. Fréquence et durée de l'humidité

La plupart des champs agricoles comptent des zones basses et des terres humides dont le sol renferme souvent une quantité excessive d'humidité qui entrave les opérations de terrain, en général l'ensemencement au printemps. De nombreux facteurs naturels influent sur la fréquence et la durée de l'inondation ou de l'excès d'humidité. Ce sont, entre autres :

  • la variabilité du temps et du climat influe sur le ruissellement superficiel et le débit d'émergence des eaux souterraines
  • la superficie des terres dont les eaux s'écoulent vers une zone basse ou une terre humide
  • l'inclinaison des terres à l'intérieur d'une terre basse
  • l'ampleur du ruissellement qu'il faut pour noyer une terre humide au point où l'eau déborde ou se déverse. L'ampleur du ruissellement est souvent caractérisée par la fréquence probable de l'apparition de l'événement. Par exemple, un ruissellement qui se produit une fois en 20 ans a une plus faible probabilité que celui qui survient une fois en deux ans.
  • Le débit avec lequel l'eau retenue s'infiltrera et percolera dans le profil de sol, qui dépend principalement de la texture du sol et de la profondeur de la nappe phréatique.

La variabilité des inondations ou de l'excès d'humidité avec le temps est un autre aspect à considérer. On pourrait supposer que la variabilité augmente avec la variabilité du climat et du temps, avec la présence de pentes plus douces dans la zone d'inondation et une plus faible fréquence probable du ruissellement conduisant à la saturation complète. Cette hausse de la variabilité de l'humidité en excès s'accompagne également de plus grands défis en matière d'aménagement.

2. Salinité

Les terres humides peuvent ou non être salines selon les modes d'écoulement particuliers des eaux superficielles et souterraines, les taux d'évaporation et les caractéristiques du sol ou du paysage. Les facteurs qui contribuent à une augmentation de la salinisation sont :

  • les climats semi-arides où l'évaporation potentielle excède les précipitations;
  • des eaux souterraines salines se déversant dans une terre humide située, en général, dans les parties basses du paysage local;
  • un drainage ou un lessivage restreint sous la terre humide vers les eaux souterraines;
  • des débordements peu fréquents des eaux superficielles de la terre humide entraînant un lessivage minimal de l'eau saline.

Parfois, il se produit un lessivage net au centre d'une terre humide et une évaporation à la périphérie. Dans ce cas, la salinité sera plus élevée sur le contour de la terre humide, phénomène appelé salinité en « cernes de baignoire ».

3. Reliefs accidentés

Les paysages accidentés, également appelés paysages en bosses et creux, sont caractérisés par de brèves pentes relativement prononcées et de nombreux petits îlots ou milieux humides. Avec l'augmentation de la grosseur des machines agricoles, les travaux agricoles comme le labour, l'ensemencement et la récolte, sont devenus de plus en plus inefficaces en raison de la fragmentation. Parallèlement, divers programmes d'incitation ont visé particulièrement la conversion de ces paysages en cultures fourragères vivaces, afin d'offrir de meilleurs milieux secs à la sauvagine. Le résultat en est que ces paysages ont été de plus en plus convertis en cultures fourragères vivaces qui sont utilisées principalement pour le pâturage du bétail ou la production de fourrages.

La description de cette image suit.
Fragmentation de cultures annuelles sur un relief accidenté

4. Paysages peu vallonnés

Les paysages peu vallonnés sont caractérisés par des pentes plus longues, plus douces et des terres humides moins nombreuses mais plus vastes et moins profondes. Le littoral et des segments particuliers de la zone riveraine peuvent être moins bien définis en raison des changements considérables possibles, selon l'ampleur de l'inondation. Ces terres humides et les milieux secs adjacents peuvent être assez difficiles à aménager en vue de la production agricole, car l'étendue de l'inondation et de la saturation du sol peut varier considérablement avec le temps.

5. Plaines inondables

En général, les plaines inondables sont des fonds de vallées plates périodiquement inondées lorsque les eaux des rivières et autres cours d'eau débordent leurs berges. Normalement, les plaines inondables ne sont pas considérées comme des terres humides; cependant, les zones basses à l'intérieur d'une plaine inondable qui retiennent l'eau lorsque le cours d'eau ou la rivière se retire pourraient être considérées comme telles. Les plaines inondables peuvent aussi être difficiles à gérer selon la variabilité des inondations.

Effet de la gestion des milieux secs sur les terres humides

L'effet de la gestion des milieux secs se résume principalement à l'effet de types de végétation différente et de leur gestion sur les processus hydrologiques qui influent sur la quantité et la qualité de l'eau se déversant dans les terres humides. Les terres humides sont alimentées en eau surtout par le ruissellement superficiel, mais également par l'émergence des eaux souterraines, par la neige emportée par le vent et déposée sur la terre humide et par les précipitations directes. Dans les prairies canadiennes, en général 80 % du ruissellement annuel proviennent de la fonte des neiges, même si les chutes de neige ne représentent qu'un tiers des précipitations annuelles (Source : Fang, 2007). La forte tendance au ruissellement de la neige fondue est attribuable à une diminution de l'infiltration due au sol gelé, qui le demeure habituellement bien après la fonte de la majeure partie de la neige. Les terres humides des prairies n'existeraient pas sans l'addition d'eau en provenance des milieux secs avoisinants.

1. Type et ampleur de la végétation

La végétation influe sur les processus hydrologiques d'un certain nombre de façons. Premièrement, l'étendue et la rugosité grandissantes du couvert superficiel réduiront les amoncellements de neige transportés par le vent et le ruissellement de l'eau et augmenteront le taux d'infiltration des précipitations et de la neige fondue à la surface du sol. Deuxièmement, le type de végétation peut influer sur la quantité de fissures et de macropores qui facilitent une plus forte infiltration. Troisièmement, des types de végétation différente ont des aptitudes diverses à extraire l'humidité du sol. Les cultures fourragères vivaces prélèvent plus d'humidité que les cultures annuelles à l'automne avant le gel d'hiver. Le résultat net de l'existence des macropores et d'une plus faible humidité du sol est une augmentation de l'infiltration et une diminution du ruissellement au printemps suivant comparativement à ce qui se produit avec le chaume des cultures annuelles. Des études à long terme sur les terres humides de la Réserve nationale de faune St-Denis en Saskatchewan ont montré que la conversion des milieux secs en zones herbacées non cultivées a entraîné l'assèchement pratiquement complet de petites terres humides dans les champs engazonnés (van der Kamp et coll., 1998).

2. Jachères

Le plus grand effet de l'aménagement des terres sur le devenir de la neige résulte de la pratique des jachères. En général, sur les terres en jachère, un gros pourcentage de neige fondue se transforme en eau de ruissellement plutôt que de s'infiltrer dans le sol. Les sols en jachère sont en général humides ou saturés au début de la période hivernale, ce qui les rend fortement imperméables, en particulier lorsqu'ils sont gelés.

Sur les champs en jachère également, une plus grande quantité de neige est transportée par le vent. Elle tend à s'accumuler sur les terres basses ou autour des brise-vent, mais il est possible qu'une quantité considérable se sublime avant d'y parvenir. La sublimation est la transformation de cristaux de neige solides directement en vapeur d'eau dans l'atmosphère sans passage par la phase liquide intermédiaire.

Depuis le début des années 1970, la quantité de jachères a graduellement diminué de sorte que leurs effets s'atténuent avec le temps. (Source : Statistique Canada)

3. Travail de conservation du sol

Dans les régions semi-arides, le travail de conservation des sols sous cultures annuelles entraînera une amélioration du taux d'infiltration et une réduction du ruissellement en raison de la présence de plus grandes quantités de résidus de végétaux, de matière organique du sol et de la formation de macropores. L'élimination du travail du sol l'automne aide à garder le chaume sur pied ce qui réduit l'amoncellement de neige. Ces pratiques entraînent également une baisse du taux d'érosion hydrique et une diminution de l'envasement des terres humides par les sédiments. La réduction du ruissellement et de la sédimentation contribuera également à freiner le transport et le dépôt, dans les points d'eau, d'éléments nutritifs, d'agents pathogènes et de pesticides dissous et liés aux sédiments.

Cependant, une grande concentration d'éléments nutritifs près de la surface du sol attribuable à une perturbation moindre du sol et à la conservation des résidus de végétaux peut entraîner une augmentation de la quantité de phosphore soluble dans l'eau de ruissellement. De plus, dans les milieux plus humides, le travail de conservation du sol peut entraîner une augmentation de l'humidité du sol au début de l'hiver, occasionnant ainsi une infiltration plus lente et l'intensification du ruissellement due à la fonte des neiges au printemps.

Un tracteur faisant de l'ensemencement sans travail du sol.
L'ensemencement sans travail du sol conserve le chaume sur pied et la couverture de résidus de végétaux

4. Gestion des éléments nutritifs

La période, le taux et la méthode d'épandage de fumier et d'engrais peuvent aussi avoir un effet sensible sur le risque de transport d'éléments nutritifs des hautes terres vers les points d'eau. Dans la plupart des cas, des méthodes qui optimisent l'efficacité de l'absorption des éléments nutritifs par les végétaux diminuent également le risque pour l'environnement.

Cependant, certaines pratiques actuelles peuvent entraîner une augmentation des charges en éléments nutritifs provenant des terres hautes :

  • des doses d'épandage de fumier dépassant les besoins de la culture, souvent adjacente à des élevages intensifs;
  • l'application l'automne d'engrais ou de fumier;
  • l'alimentation d'hiver, à forte densité, du bétail en plein champ.

En fonction de facteurs hydrologiques associés aux caractéristiques du sol, du paysage et du climat, ces éléments nutritifs en excès peuvent se retrouver dans les milieux humides. L'augmentation des teneurs en éléments nutritifs des terres humides ne menace habituellement pas leur survie, mais peut influer sur leurs fonctions, par exemple leur utilité comme source d'eau potable pour de nombreuses espèces.

5. Effets de la gestion des terres hautes sur l'habitat de la sauvagine

En plus des effets hydrologiques dont il est question dans les discussions précédentes, la gestion des terres hautes influe aussi directement sur l'habitat de la sauvagine en agissant sur le succès de la nidification. Les labours de printemps ont le plus grand effet négatif en perturbant les nids avant que les jeunes oiseaux n'en soient sortis. Cette perturbation diminue progressivement lorsque l'on passe aux systèmes de cultures annuelles qui supposent le travail de conservation du sol et l'ensemencement de cultures l'automne, puis à la fauche retardée du foin et à l'herbe pâturée et finalement à la végétation vivace non cultivée.

Méthodes particulières de gestion des terres près des milieux humides naturels

En règle générale, les terres humides devraient être conservées ou remises à l'état de terres humides naturelles, et les milieux secs environnants devraient être aménagés en pâturages ou en foin vivace ou pour la production de cultures annuelles. Il faut prêter une grande attention aux régions qui font la transition entre les terres humides et les milieux secs.

1. Restauration des terres humides naturelles

Les terres humides qui ont été drainées et utilisées pour la production de cultures ou de fourrages recèlent souvent encore des « banques de semences » viables d'espèces indigènes, même après des années de cultures (Source : Rosberg, 2001). En conséquence, si la région n'a pas été comblée avec de la terre, il peut seulement être nécessaire de revenir au niveau d'eau original, par exemple aussi simplement qu'en soulevant ou en colmatant l'exutoire superficiel.

La réimplantation naturelle des espèces indigènes peut demander un certain temps et peut s'accompagner d'une période de transition où certaines espèces végétales indésirables peuvent avoir des effets négatifs sur le milieu sec environnant, comme une augmentation des coûts de la lutte contre les mauvaises herbes. Après un certain temps, la composition des espèces pourrait devenir plus stable et avoir moins d'effets sur les milieux secs.

2. Cultures fourragères vivaces

La production de cultures annuelles devrait se limiter aux régions qui s'assèchent à temps pour l'ensemencement du printemps la plupart des années et qui ne sont pas vulnérables à des inondations après l'ensemencement. Les zones trop humides pour les cultures annuelles peuvent convenir à l'implantation de cultures fourragères vivaces tolérant les inondations. La durée de la tolérance aux inondations varie selon l'espèce fourragère comme le montre le tableau 1.

Remarque : Une partie du contenu dépasse la largeur habituelle.

Tableau 1 : Durée de la tolérance aux inondations d'espèces fourragères vivaces (semaines)
Zone de sol - Brun Zone de sol - Brun foncé Zone de sol - Noir Zone de sol - Gris
1 - 2
semaines
2 - 5
semaines
> 5
semaines
1 - 2
semaines
2 - 5
semaines
> 5
semaines
1 - 2
semaines
2 - 5
semaines
> 5
semaines
1 - 2
semaines
2-5
semaines
> 5
semaines
Distichlis en épis X X X X X X X X
Vulpin traçant X X X X X X X X
Vulpin des prés X X X X X X X X
Alpiste roseau X X X X X X X X
Beckmannie à écailles unies X X X X X X X X
Lotier corniculé X X X X X X
Fétuque élevée X X X X X X
Trèfle alsike X X X X
Fétuque des prés X X X X
Élyme de Daourie X X X X X X X X
Agropyre hybride X X X X X X X X
Brome inerme X X X X X X X X
Agropyre élevé X X X X X X X X
Agropyre à chaumes rudes X X X X X X
Agropyre des berges X X X X X X
Agropyre de l'Ouest X X X X X X
Luzerne X X X X
Élyme de l'Altaï X X X X
Agropyre à barbes X X X X
Élyme du Canada X X X X
Agropyre à crête X X X X
Brome hybride X X X X
Pâturin des prés X X X X
Brome des prés X X X X
Agropyre du Nord X X X
Fétuque rouge traçante X X
Trèfle rouge X X
Phléole des prés X X
Les cellules avec un « X » indiquent la durée de la tolérance d'inondation (semaines) pour des espèces spécifiques de fourragères

Source : Saskatchewan Forage Council

Malheureusement, les espèces dotées d'une grande tolérance à l'inondation ont, en général, une faible valeur fourragère et une tolérance moindre à la sécheresse. Ces fourrages, même s'ils peuvent tolérer de faibles inondations, ne sont pas recommandés pour les endroits qui sont inondés pendant moins de deux semaines, car il existe d'autres espèces plus adaptées à ces endroits.

Les peuplements de fourrages des régions où les inondations ou les saturations du sol sont fréquentes ou de longue durée sont souvent trop humides pour être accessibles au bétail pour le pâturage ou pour la récolte du foin. Lorsqu'ils deviennent accessibles, le fourrage a souvent atteint un point de maturation où sa valeur pour l'alimentation du bétail a considérablement diminué. En conséquence, même s'il est possible de cultiver des fourrages pour la production agricole sur des terres où les inondations sont de longue durée, en pratique, ces régions se prêtent davantage à la gestion comme terres humides naturelles.

La description de cette image suit.
Terre basse utilisée pour la production de foin fourrager vivace

Néanmoins, les zones vulnérables à des inondations modérées peuvent convenir à la production de cultures fourragères vivaces et, en fait, être une source importante de foin ou de pâturage, en particulier durant les années de sécheresse lorsque la production est minimale dans les hautes terres.

3. Fourrages halophytes

Le degré de salinité influe également sur le type de végétation qui peut pousser. La plupart des cultures annuelles ne tolèrent qu'une légère salinité. Certains fourrages vivaces ont une tolérance de beaucoup supérieure au sel, comme le montre le tableau 2. Comme dans le cas de la tolérance aux inondations, les espèces affichant une forte tolérance au sel ont en général une faible valeur fourragère.

Il existe relativement peu d'espèces fourragères affichant une tolérance tant aux inondations qu'à la salinité. En conséquence, il est recommandé que les régions où la durée des inondations et la salinité vont de modérées à élevées soient remises en valeur et gérées comme des terres humides naturelles.

Tableau 2 : Tolérance à la salinité d'espèces fourragères vivaces (légère, modérée, forte)
Zone de sol - Brun Zone de sol - Brun foncé Zone de sol -Noir Zone de sol - Gris
L M F L M F L M F L M F
Distichlis en épis X X X X X X X X X X X X
Élyme de l'altai X X X X X X X X X X X X
Élyme de Daourie X X X X X X X X X X X X
Agropyre hybride X X X X X X X X X X X X
Agropyre élevé X X X X X X X X X X X X
Élyme de Russie X X X X X X X X X
Fétuque élevée X X X X X X
Vulpin traçant X X X X X X X X
Agropyre à crête X X X X X X X X
Agropyre intermédiaire X X X X X X X X
Agropyre pubescent X X X X X X X X
Beckmannie à écailles unies X X X X X X X X
Brome inerme X X X X X X X X
Mélilot X X X X X X X X
Agropyre du Nord X X X X X X
Agropyre à chaumes rudes X X X X X X
Agropyre des berges X X X X X X
Agropyre de l'Ouest X X X X X X
Lotier corniculé X X X X
Fétuque rouge traçante X X X X
Fétuque des prés X X X X
Luzerne X X X X
Astragale pois chiche X X X X
Brome hybride X X X X
Brome des prés X X X X
Stipe verte X X X
Boutelou gracieux X X
Barbon de Gérard X X
Les cellules avec un « X » indiquent la tolérance de salinité (légère, modérée, forte) pour des espèces spécifiques de fourragères

Source : Saskatchewan Forage Council

4. Voies d'eau gazonnées

Souvent, la majeure partie des eaux superficielles se déversant dans les terres humides est canalisée. Ce type d'écoulement se produit également lorsqu'une terre humide déborde et provoque un ruissellement vers une autre terre humide en aval. Ces zones devraient avoir un fond plat et des pentes latérales douces, stabilisées par un gazon formant une herbe vivace. Ainsi, l'écoulement demeure dans la voie d'eau et ne peut provoquer un ravinement ni le dépôt de sédiments dans les terres humides.

La description de cette image suit.
Voie d'eau gazonnée dont le foin est cultivé

5. Bandes tampons de fourrages

La zone riveraine des terres humides naturelles héberge une variété d'espèces végétales vivaces. Si le milieu sec environnant est sous culture annuelle, il est souvent souhaitable d'implanter une bande additionnelle de fourrages vivaces à l'extérieur de la partie humide. Cela se justifie en partie du fait que la périphérie de la zone riveraine peut varier avec le temps entre les cycles d'inondation et d'assèchement. En conséquence, l'addition d'une bande tampon de fourrages vivaces aide à garantir que l'ensemble de la zone riveraine demeure sous végétation vivace et assure de bonnes fonctions écosystémiques. De l'ensemble du milieu humide, cette zone externe sera la plus adaptée à la production de fourrages, car elle sera la moins vulnérable aux inondations.

La largeur de cette bordure externe peut varier considérablement sous l'effet de nombreux facteurs. Dans la région des Prairies, des bandes de fourrage de 10 à 30 m ont été recommandées (Source : Huel, 1998). Des bandes tampons plus larges seraient justifiées dans les situations ou pour les fonctions suivantes :

  1. terres humides en pente douce dont le territoire présente une plus grande variabilité et est vulnérable à un excès d'humidité.
  2. lorsque des voies d'eaux gazonnées ou de l'eau dans un canal s'élargissent ou se distribuent en éventail avant d'entrer dans une zone riveraine.
  3. pour accroître la capacité des zones tampons à améliorer l'habitat de la faune et la biodiversité.
  4. pour accroître la capacité des zones tampons à filtrer les sédiments, les éléments nutritifs et les pesticides.

Le fourrage de cette zone tampon pourrait être utilisé comme foin au pâturage, même si le pâturage sera limité au début du printemps ou à la fin de l'automne si les milieux secs avoisinants sont sous cultures annuelles. Lorsque de fortes concentrations en éléments nutritifs menacent la zone humide, le foin ou l'ensilage récoltés, transportés et consommés hors des lieux offrent également un avantage supplémentaire en contribuant à extraire une partie de ces éléments nutritifs.

6. Distances de retrait pour l'application de facteurs de production végétale

Il est en général recommandé de ménager une distance de retrait entre la périphérie d'une terre humide et les zones d'application de fumier, d'engrais ou de pesticides. Cette façon de faire réduit le risque que les éléments nutritifs, pesticides et agents pathogènes ne se déversent dans les points d'eau. Une bande tampon de fourrages constitue un bon mode d'aménagement d'une zone de retrait, car en général elle n'a pas besoin d'apports d'éléments nutritifs ou de pesticides pour demeurer productive.

7. Linéarisation des frontières entre les fourrages et les cultures annuelles

Un point important à prendre en considération lors de l'implantation de bandes tampons de fourrages et la détermination des distances de retrait tient dans la création d'un champ de cultures annuelles qui ne soit ni fragmenté ni source d'inefficacité des activités de terrain en raison de chevauchements excessifs. Il est possible d'y parvenir en incluant de petites parcelles de terres, de formes irrégulières, à côté de la terre humide dans le tampon de fourrage (Source : Gregg). Dans un champ comptant plusieurs terres humides réunies par des voies d'eau gazonnées, il peut être prudent d'étendre les fourrages à la zone entre les terres humides également. La faisabilité de cette pratique dépend aussi de l'aptitude à utiliser la plus grande quantité de fourrages produite.

Figure 1 : Représentation graphique de la linéarisation des cultures annuelles à l'aide de bandes de fourrages vivaces
Des représentations aériennes (avant et après) des cultures annuelles qui ont été linéarisées avec des bandes de fourrages vivaces.

Avant

Après

Photo : Courtoisie de la Saskatchewan Watershed Authority.

8. Regroupement des terres humides

Certains agriculteurs ont réglé de façon efficace le problème de la fragmentation des champs en drainant un certain nombre de petites terres humides pour n'en former qu'une seule grande. La terre humide formée connaîtra une augmentation de superficie et de volume plus ou moins égale à la superficie totale des terres humides drainées. Cependant, il se produit habituellement quand même une perte de fonction des terres humides principalement attribuable à une réduction du périmètre littoral des terres humides. Néanmoins, la fusion des terres humides peut être plus acceptable si elle vise le drainage des terres humides dont l'inondation est très peu fréquente, c'est-à-dire celles qui ont une fonction minimale comme terres humides et un potentiel maximal de production agricole. Il faudrait noter que les terres humides qui ont une faible durée d'inondation au printemps ont une fonction appréciable dans la nidification de la sauvagine.

9. Transformation de champs entiers en cultures fourragères vivaces

Dans les champs où la fragmentation est excessive, il peut être plus facile de convertir l'ensemble du champ en cultures de fourrages vivaces que d'établir des fourrages dans de petites zones comme des bandes tampons et des voies d'eau gazonnées. Cette conversion a déjà été désignée comme une priorité dans le cas des paysages en bosses et creux, mais elle peut également convenir dans certaines situations à d'autres paysages. Un facteur déterminant dans cette décision tient dans l'intérêt et l'aptitude du producteur à procéder à un changement de mode de gestion appréciable pour passer de la production de cultures annuelles à l'élevage. Souvent, ces conversions sont plus évidentes lorsqu'elles s'accompagnent de changements de la propriété de la terre ou du régime foncier.

10. Gestion des pâturages

Les terres humides peuvent être très avantageuses dans la production animale en fournissant fourrage, eau et abri. Cependant, sans limitation ou restriction de l'accès des animaux, ces zones peuvent être négativement touchées par des charges excessives en éléments nutritifs et en agents pathogènes ainsi que par une perturbation considérable des zones saturées par les sabots. Un bon plan de gestion des pâturages, comprenant des pratiques comme des systèmes d'abreuvement à distance hors des lieux, le pâturage riverain contrôlé et des brise-vent ou des abris portatifs sur les milieux secs peuvent contribuer à réduire ces problèmes au minimum.

11. Arbres et arbustes

Les arbres et les arbustes sont des éléments naturels des terres humides des prairies. Des espèces comme le saule et le peuplier tremble se trouvent souvent dans la zone riveraine. Ces espèces ont une tolérance considérable à l'inondation. Cette tolérance se manifeste non seulement par la capacité des arbres particuliers à survivre à un certain degré d'inondation, mais aussi à en engendrer de nouveaux par drageonnement. Par exemple, alors qu'une longue inondation de plus d'un an peut tuer un peuplement de peupliers trembles à l'intérieur d'une zone humide, les nouvelles pousses émergeront souvent au haut de la partie inondée.

Les arbres et les arbustes offrent un excellent habitat de nidification et d'alimentation à de nombreux oiseaux chanteurs résidents et migrateurs. De plus, d'autres formes de vie sauvage utilisent ces zones comme couvert de nidification et habitat aquatique. Les insectes bénéfiques, comme les abeilles et d'autres polinisateurs, sont attirés vers ces sites.

L'utilisation d'arbres pour la production commerciale de biomasse sur les terres agricoles a récemment suscité de l'intérêt (c.-à-d. l'agroforesterie). La plantation d'arbres pour l'agroforesterie aux alentours des terres humides peut contribuer à l'extraction et au retrait d'éléments nutritifs en excès. Les arbres peuvent se révéler même plus efficaces que certains fourrages en utilisant leur système racinaire plus développé et plus profond pour capturer de nouveau les éléments nutritifs qui ont percolé en profondeur.

L'une des principales préoccupations concernant la plantation d'arbres dans cette partie du paysage tient dans le risque des dommages par les inondations. Ce risque dépend lui-même du risque d'inondation, de la durée de l'inondation et de la saturation du sol, de la tolérance des espèces d'arbres aux inondations et de l'intervalle de récolte prévu pour les arbres. Par exemple, les espèces comme le saule qui sont récoltées à intervalles fréquents seront exposées à beaucoup moins de risque que les peupliers hybrides récoltés seulement lorsqu'ils atteignent la maturité.

Gestion durable dans un climat variable et changeant

Sous l'effet de la forte proportion de ruissellement qui se forme durant la fonte des neiges, les niveaux de l'eau des terres humides atteignent en général le maximum au printemps. Par la suite, le niveau d'eau baisse graduellement tout au long de l'été, l'évaporation et l'utilisation de l'eau par la végétation riveraine devenant les processus hydrologiques plus dominants. Cependant, des orages d'été intenses peuvent rapidement réalimenter les terres humides.

En plus des cycles annuels, des cycles pluriannuels influent également sur les niveaux d'eau des terres humides. Parfois, ces cycles peuvent durer un certain nombre d'années. Ces cycles d'inondation et d'assèchement posent un certain défi aux producteurs agricoles, en particulier parce qu'ils sont imprévisibles. Ajouté à cela le risque de changement climatique et d'augmentation de la variabilité du climat, et ces défis s'intensifient.

La plupart des cultures et des espèces fourragères vivaces ne montrent pas une bonne tolérance aux inondations et à la sécheresse en même temps. En conséquence, il existe toujours un risque d'échec de la culture ou de dépérissement des fourrages. Durant les longues périodes où les tendances sont à l'assèchement ou à l'inondation, il peut être nécessaire d'apporter des modifications à l'aménagement et à la gestion des terres afin de les adapter. Les décisions de changer ou non s'accompagnent souvent d'un risque énorme, car on ne sait jamais combien de temps durera la tendance.

L'objectif privilégié est de trouver un équilibre approprié en gérant les paysages de façon durable en vue de la production agricole tout en préservant les fonctions écosystémiques du paysage. Les méthodes particulières permettant d'y parvenir varieront d'une région à l'autre, d'une exploitation agricole à l'autre et même d'un champ à l'autre sous l'effet de nombreux facteurs. La prise de décisions judicieuses en matière de gestion nécessite une solide connaissance de ces facteurs, une planification assez longtemps à l'avance et une solide détermination à poursuivre malgré l'évolution de la situation sous l'effet des saisons et d'une année à l'autre. Il faut également un certain degré de souplesse pour s'adapter aux longues périodes d'inondation ou d'assèchement, qui peuvent nécessiter des changements dans le mode d'utilisation ou de gestion des terres pendant plusieurs années.

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Auteur : Dennis Haak, Division des ressources en sol, Administration du rétablissement agricole des prairies et environnement, Agriculture et Agroalimentaire Canada, septembre 2008.