La souplesse de la culture sans travail et de la culture à travail réduit du sol garantit la réussite à long terme

Tendances et définitions en matière de travail du sol

Depuis le milieu des années 80, la culture sans travail et la culture à travail réduit du sol au Canada sont devenues populaires, en particulier dans la région des Prairies. La culture sans travail du sol comprend l'élimination complète du travail du sol ainsi que l'ensemencement et l'épandage à faible perturbation du sol d'engrais ou de fumier. On emploie d'autres termes pour décrire ce type de culture, tels que « semis direct » et « semis direct à faible perturbation du sol ».

La culture à travail réduit du sol consiste en la diminution du travail du sol par rapport aux pratiques classiques. Elle est plus difficile à définir, car le degré de diminution peut varier et la définition des pratiques classiques a évolué au fil des ans. On pourrait soutenir l'hypothèse que le travail du sol classique dans les Prairies aujourd'hui serait considéré comme un travail réduit du sol avant les années 80. On emploie d'autres termes pour décrire la culture à travail réduit du sol, tels que « travail minimum du sol », « travail de conservation du sol » et « semis direct à forte perturbation du sol ».

Graphique 1 : Tendance du système de labour dans les Prairies Canadiennes

La description de cette image suit.
Description - Graphique 1

Le graphique illustre les pratiques en matière de travail du sol dans les Prairies canadiennes entre 1991 et 2006. Au cours de cette période, on observe que la portion du territoire cultivé sans labour a augmenté, passant de 5 à 45 %, et que la portion du territoire où le sol est travaillé de manière conventionnelle a diminué, passant de 65 à 25 % Le pourcentage du territoire cultivé au moyen du travail réduit du sol demeure relativement le même, autour de 30 % (Source: Recensement agricole, Statistiques Canada)

Avantages de la culture sans travail et de la culture à travail réduit du sol

Les avantages de la culture sans travail et de la culture à travail réduit du sol sont nombreux et bien étayés. Ils comprennent :

  • une augmentation du rendement de culture, grâce à la conservation de l'humidité, à la diminution de l'érosion, à l'amélioration de la qualité de la matière organique du sol et à une meilleure gestion des éléments nutritifs, des résidus de récolte et des parasites;
  • la diminution des coûts de la main-d'oeuvre et de l'équipement, grâce au travail réduit du sol;
  • l'amélioration de l'environnement, y compris l'amélioration de la qualité du sol et de l'eau, la biodiversité et la diminution des émissions de gaz à effet de serre.

Défis de la culture sans travail et de la culture à travail réduit du sol

Ce type de culture acquerra probablement encore de la popularité, mais il pourrait y avoir des obstacles qui porteront beaucoup d'agriculteurs à ne pas y avoir recours. Il est également possible que les producteurs pratiquant la culture sans travail du sol ne soient pas en mesure de la mettre en oeuvre tous les ans. Cette hypothèse est appuyée par une étude de l'Administration du rétablissement agricole des Prairies (ARAP) qui a porté sur 4 000 champs en Saskatchewan. En étudiant les mêmes champs chaque année de 1997 à 2002, on a remarqué que les agriculteurs alternaient entre différentes pratiques de travail du sol sur un grand nombre d'entre eux.

Graphique 2 : Tendance en absence de labour

La description de cette image suit.
Description - Graphique 2

Le graphique illustre les pratiques de gestion sans labour observées chaque année dans les champs de 1997 à 2002. Environ 44.62 % des champs ont toujours été labourés, tandis que 2.85 % n'ont jamais été labourés. Pour les 52.53 % de champs restants, on a eu tendance à augmenter les cultures sans travail du sol dans 20.91 % des cas, à diminuer les cultures sans travail du sol dans 2.73 % des cas et on n'a observé aucune tendance stable dans 28.89 % des cas (Source: Étude de sémis de l'ARAP)

En 2005, l'ARAP a tenu une série de 10 réunions avec des producteurs pratiquant la culture sans travail du sol et provenant de partout au Canada, en vue de déterminer les défis pouvant les empêcher de continuer à la mettre en oeuvre. Bon nombre de ces défis empêchaient également les agriculteurs utilisant des pratiques classiques de passer à la culture sans travail du sol. Certains des obstacles proviennent de caractéristiques particulières du sol, du terrain ou du climat sur lesquelles les producteurs n'ont aucune influence. D'autres peuvent être créés par des scénarios particuliers de systèmes de gestion ou de production que les producteurs, cette fois-ci, contrôlent eux-mêmes. La liste des obstacles décrits ci-dessous n'est pas exhaustive, mais elle contient les principaux éléments relevés par les producteurs.

A. Résidus excédentaires de récolte

Une trop grande quantité de résidus de récolte peut obliger les agriculteurs à reporter les semailles du printemps, ou entraîner un faible taux de germination en raison d'un ralentissement de l'assèchement et du réchauffement du sol. Un excédent peut également influer sur la capacité de l'équipement à faible perturbation d'enlever les débris végétaux sans bourrage, d'ensemencer et d'épandre l'engrais avec précision ou de tasser les semences. Un ralentissement du réchauffement et de l'assèchement du sol peut persister après la levée des semis, puis diminuer la vitalité et augmenter la vulnérabilité à la gelée et aux maladies. Les résidus excédentaires peuvent améliorer le taux de fixation de l'azote, processus nécessaire à la croissance et au développement d'un semis en bonne santé.

Les problèmes mentionnés ci-dessus sont courants avec la plupart des résidus de récolte de céréales cultivées dans une région humide ou un champ irrigué. La paille de lin présente un défi spécial à cause de son faible taux de décomposition et de ses caractéristiques entravant l'enlèvement des débris végétaux. Les problèmes d'excédent de résidus de récolte peuvent empirer après un certain nombre d'années de culture sans travail du sol, en raison de l'accumulation au sol d'une couche de feutre racinaire formée de résidus de récolte partiellement décomposés. Cette couche de feutre racinaire est habituellement plus épaisse dans les régions humides, mais peut également apparaître dans les climats semi-arides.

Les agriculteurs pratiquant efficacement la culture sans travail du sol connaissent l'importance d'une bonne gestion des résidus pendant la récolte; il faut notamment hacher et étendre la paille sur toute la largeur de la coupe. Passer la herse pendant une journée sèche après la récolte peut améliorer les conditions de résidus favorables au semis. La mise en balles ou le pâturage des résidus de récolte peut aider à en éliminer l'excédent. La technologie du matériel de semis continue de faire progresser les capacités d'enlèvement des débris végétaux et d'ensemencement. On a également connu un certain progrès dans la mise au point de variétés végétales produisant moins de résidus ou se montrant plus résistantes au temps frais et aux conditions humides au moment du semis. La culture plus fréquente de légumineuses et d'oléagineuses dans la rotation avec les céréales et le lin ralentira l'accumulation des résidus et de la couche de feutre racinaire.

Bonne gestion des résidus au moment de la récolte

Même lorsque les éléments précités sont mis en oeuvre, les problèmes d'excédent de résidus peuvent persister, en particulier la couche de feutre racinaire. Le travail du sol peut donc être nécessaire de temps à autre afin de mélanger les résidus excédentaires en surface avec le sol à plus de profondeur.

B. Humidité excessive et basse température du sol

Le sol peut être trop humide ou trop frais même en l'absence de résidus de récolte excédentaires, et ainsi entraîner bon nombre des impacts négatifs liés à l'excédent de résidus. L'humidité excessive peut également causer des problèmes de praticabilité, boucher les buses à semences, conduire au tassement exagéré et concourir à la formation d'ornières. Ces conditions apparaissent rarement dans les régions semi-arides, mais elles sont plus courantes dans les régions humides. La terre glaise et les autres sols d'accumulation connaissent plus souvent des taux d'humidité excessifs et des températures basses que les sols sablonneux et les autres sols bien asséchés.

La culture sans travail du sol conserve l'humidité, qui est particulièrement importante dans les régions semi-arides, mais qui peut favoriser, dans les régions humides, l'humidité excessive et la basse température du sol. Dans les régions humides, le travail du sol vise traditionnellement à assécher et à réchauffer le sol en en augmentant temporairement l'irrégularité, l'évaporation et l'exposition au soleil. Le travail délibéré du sol est également nécessaire pour faire disparaître les ornières créées par l'équipement de terrain et les problèmes de praticabilité.

Les cultures semées à l'automne et les cultures fourragères vivaces intégrées dans la rotation des cultures absorberont davantage d'humidité en début de printemps et élimineront le besoin de semer pendant cette période difficile. Cependant, certaines régions sont régulièrement exposées à des taux d'humidité excessifs et des températures basses, et sont peut-être inadaptées à la culture sans travail du sol (le Bassin de la rivière Rouge au Manitoba, par exemple). Les changements climatiques pourraient présenter de plus grands risques d'humidité excessive et de basse température du sol à l'avenir dans certaines régions.

C. Problèmes de bétail et de fumier

D'importants progrès ont été réalisés dans la culture sans travail du sol dans les exploitations mixtes possédant du bétail. Par exemple, les injecteurs de fumier liquide à faible perturbation conservent les avantages de la culture sans travail du sol et permettent d'utiliser efficacement les éléments nutritifs en les épandant correctement. Les essais d'épandage de fumier solide par des méthodes semblables se sont avérés plus difficiles. Bien que le semis à la volée uniforme de fumier solide pulvérisé ait de bons résultats dans la culture sans travail du sol, les avantages des éléments nutritifs ne peuvent pas être tirés au maximum sans un certain travail du sol.

Injection à faible perturbation de fumier liquide

Étant donné sa nature volumineuse, le fumier présente un plus grand risque de compactage du sol par l'équipement d'épandage. Un autre des défis consiste en la tendance de plus en plus marquée à l'utilisation de pratiques de pâturage extensif telles que le pâturage sur andains et le pâturage de bottes de foin. Lorsque ces pratiques sont mises en oeuvre dans des cultures annuelles, dans des conditions humides et à une température supérieure à zéro, le bétail, en s'enfonçant dans le sol (pétrissage), peut compacter davantage le sol et en augmenter l'irrégularité. Le travail du sol est souvent nécessaire pour régler ces problèmes, en vue de faciliter l'ensemencement approprié de la prochaine culture.

D. Cultures horticoles, spéciales et biologiques

Certains types de cultures de grande production ne sont pas adaptés à la culture sans travail du sol en raison de l'importante perturbation du sol qu'elles exigent pendant la récolte. On compte parmi ces cultures la pomme de terre, la betterave à sucre et le haricot. Les systèmes de culture comptant des légumes, des fruits, des noix et des arbustes d'ornement nécessitent une gestion rigoureuse comportant souvent le travail du sol pour diverses raisons. Les cultures biologiques exigent le travail du sol, principalement pour lutter contre les mauvaises herbes qui, dans une culture sans travail du sol, seraient éliminées par les herbicides.

E. Enjeux de lutte contre les mauvaises herbes

L'amélioration de la technologie en matière d'herbicides est une des premières causes de l'adoption réussie de la culture sans travail du sol. Un exemple significatif de cette amélioration est l'herbicide au glyphosate non sélectif. En passant à la culture sans travail du sol, on observe une transition globale dans l'éventail des mauvaises herbes; elles passent des plantes annuelles aux plantes vivaces, ces dernières étant plus robustes. Le glyphosate et les autres herbicides éliminent la majorité de ces mauvaises herbes, mais, dans de nombreuses régions, un certain nombre d'espèces particulières posent encore de multiples problèmes, et il faut parfois avoir recours au travail du sol pour les éliminer (l'orge queue-d'écureuil dans les prairies arides, par exemple).

Tout dernièrement, la technologie des organismes génétiquement modifiés (OGM) a mené à la mise au point de variétés végétales résistantes à des herbicides particuliers. Tandis que ces progrès continuent d'apporter de légers avantages, surtout aux producteurs pratiquant la culture sans travail du sol, des mauvaises herbes résistantes aux herbicides menacent toujours d'apparaître. Bien que ce phénomène se soit produit dans une faible mesure au Canada, une prolifération de mauvaises herbes résistantes aux herbicides rendrait plus vulnérables les producteurs pratiquant la culture sans travail du sol, étant donné qu'ils ne considèrent généralement pas le travail du sol comme une option de lutte contre les mauvaises herbes.

Certains producteurs décèlent également d'autres risques liés à la culture sans travail du sol combinée à l'utilisation de semences génétiquement modifiées (SGM) et de la technologie en matière d'herbicides. Vu le coût élevé de la mise au point et de l'immatriculation de ces éléments technologiques, les semences et les herbicides sont vendus par un nombre toujours moindre de fournisseurs, c'est-à-dire ceux qui possèdent suffisamment de ressources pour engager les investissements nécessaires. Dans l'éventualité où certaines technologies connaissaient de graves problèmes, cette situation pourrait réduire le nombre d'options de gestion s'offrant aux producteurs (les mauvaises herbes résistantes aux herbicides, par exemple).

F. Autres problèmes de parasites

La culture sans travail du sol peut poser de plus grands défis à d'autres types particuliers de parasites. Les maladies des cultures transmises par les résidus peuvent être plus graves dans les cultures sans travail du sol, en raison des quantités plus élevées de résidus et du taux de décomposition plus lent. Certains insectes nuisibles, tels que la mouche à scie, sont plus nombreux lorsque les quantités de résidus sont élevées. Les forts taux d'humidité liés à la culture sans travail du sol augmentent la population de limaces dans les champs du centre et de l'Est du Canada. Enfin, alors que les populations de spermophiles et de blaireaux vivant sur les cultures annuelles dans les Prairies ne sont que peu touchées par le travail du sol, il s'agit du seul moyen de niveler les monticules de terre qui entravent le travail agricole.

G. Modes souples de tenure foncière

Les décisions de gestion touchant des parcelles cadastrales particulières sont prises, de plus en plus, par plusieurs personnes ou entités agricoles. Le nombre de cas d'absentéisme du propriétaire foncier, de baux à long terme, de baux à court terme pour les cultures spéciales et de travail sur commande pour des tâches particulières continue d'augmenter. Bon nombre de décisions de gestion des cultures auront des incidences sur la capacité de mettre en oeuvre la culture sans travail du sol. Cependant, il est essentiel que les nombreux gestionnaires et exploitants des parcelles cadastrales particulières communiquent régulièrement en vue de maintenir l'efficacité de la culture sans travail du sol.

H. Diminution des marges de profit

La culture sans travail du sol compte parmi plusieurs technologies importantes de culture qui ont permis aux producteurs de gérer de plus vastes terres. Depuis l'apparition de la culture sans travail du sol, au milieu des années 1980, jusqu'à 2005, le coût des facteurs de production a augmenté de façon constante, et les prix des produits agricoles sont demeurés relativement stables. Les dernières augmentations des prix des produits agricoles en 2007 et en 2008 ont en grande partie été annulées par la forte augmentation du coût des facteurs de production. Par conséquent, la culture sans travail du sol a joué un rôle déterminant dans le maintien du revenu agricole net des producteurs, alors que le revenu net par rapport à la superficie des terres a considérablement diminué.

Si la tendance se maintient, à un certain point, divers aspects de la gestion des cultures, y compris de la culture sans travail du sol, pourraient poser problème. Par exemple, les terres toujours plus vastes ne facilitent pas la tâche aux producteurs, qui tentent d'adapter leur gestion devant la multiplication des types de sols, de paysages terrestres, de régimes climatiques et d'antécédents culturaux. Par contre, les technologies telles que les systèmes de télédétection, de localisation mondiale et d'information géographique permettant de recueillir, d'analyser et de traiter de grandes quantités de données sur la gestion des cultures peuvent simplifier la gestion de vastes terres.

Conclusion

La culture sans travail et la culture à travail réduit du sol d'aujourd'hui et de demain constituent une pratique de gestion importante et profitable, et ce, partout au Canada. Les progrès technologiques ainsi que la diffusion toujours plus large de l'information devraient continuer d'augmenter l'adoption à ces pratiques. Il y a cependant des obstacles réels qui freinent cette adoption, ainsi que certains risques, tels que les changements climatiques, qui pourraient multiplier ces obstacles dans l'avenir. Néanmoins, bien que tous les sols, les paysages terrestres, les régimes climatiques et les cultures ne soient pas adaptés à la culture sans travail du sol, il devrait être possible de mettre en oeuvre, du moins, la culture à travail réduit du sol dans toutes les régions et tous les systèmes de production. De plus, les agriculteurs pratiquant efficacement la culture sans travail du sol ont appris qu'un certain degré de souplesse autorisant le travail délibéré du sol est parfois nécessaire et aide, à long terme, à exploiter au maximum les avantages tant environnementaux qu'économiques de ces pratiques.