Code du projet PRR19-010
Chef de projet
Annie-Ève Gagnon, Agriculture et Agroalimentaire Canada
Objectif
Améliorer la lutte contre le charançon de la carotte dans les cultures de carotte en évaluant la faisabilité de l’établissement d’une population de nématodes parasites dans les champs commerciaux
Le charançon de la carotte (Listronotus oregonensis) est un ravageur important de la culture de la carotte, et s’attaque également au céleri, persil et céleri-rave. Ce ravageur est répandu dans les principales régions productrices de carottes (Ontario, Québec et Nouvelle Écosse), où il cause des dommages économiques considérables pouvant entraîner des baisses de rendement allant jusqu’à 40 pour cent. Les larves du charançon vivent dans le sol et percent des trous dans les racines, ce qui rend les carottes invendables. Ces trous constituent aussi une porte d’entrée pour les agents pathogènes et peuvent mener à des infections après récolte durant l’entreposage. Dans la littérature existante, le charançon de la carotte est souvent mentionné comme ne comptant qu’une seule génération par année; toutefois, on a récemment confirmé l’émergence d’une deuxième génération du charançon à la fin de l’été en Ontario et au Québec.
La pratique de gestion la plus courante visant à lutter contre le charançon de la carotte est l’utilisation d’insecticides. Cependant, malgré de multiples pulvérisations d’insecticides, les producteurs de carottes font de plus en plus face à des pertes de rendement considérables. La résistance aux insecticides (p. ex. phosmet) du charançon de la carotte nui à l’efficacité des outils de lutte existants. Le besoin croissant de solutions de lutte de rechange a donné lieu à des recherches intensives pour mettre au point une nouvelle solution efficace de lutte biologique.
À la suite de la découverte, dans les sols du Québec, d’une espèce indigène de nématode parasite (Bradynema listronoti) capable de stériliser les femelles du charançon de la carotte, nous avons entrepris la présente recherche pour mieux connaître sa biologie. Ce projet de 3 ans visait à : a) optimiser les techniques d’élevage du nématode, b) améliorer notre compréhension du mécanisme d’action du nématode et de son potentiel d’infection, et c) évaluer la capacité du nématode de s’établir dans les champs commerciaux où sa présence n’a jamais été observée.
Résultats
Les études en laboratoire et sur le terrain ont été menées de 2019 à 2022 au Centre de recherche et de développement d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) à Saint Jean sur Richelieu au Québec. L’élevage de masse du B. listronoti nécessite le maintien continu d’une population de son hôte vivant, L. oregonensis. Le nématode parasite son hôte au stade larvaire, s’alimentant et se reproduisant dans la larve de charançons sans le tuer. La larve de charançon porteuse de nématodes continue son développement jusqu’au stade adulte, mais l’infection entraîne la castration complète des femelles infectées, détruisant leur capacité de produire des œufs. Le parasite se trouve à réprimer fortement les gènes qui interviennent dans la maturation du système reproducteur du charançon. Bien qu’il soit stérile, le charançon femelle continue son comportement de ponte en visitant plusieurs plants de carotte, mais il ne fait que libérer des nématodes juvéniles, qui peuvent à leur tour infecter d’autres charançons. On estime que chaque charançon femelle infecté libère environ 5500 nouveaux nématodes. Tous les stades de développement du charançon semblent vulnérables à l’infection lorsqu’ils sont inoculés avec le B. listronoti, mais le plus vulnérable est le stade larvaire. Ce nématode bénéfique est propre à une seule espèce et ne parasite que le charançon de la carotte; il ne constitue donc pas une menace pour les espèces indigènes non ciblées.
Ce projet a permis de déterminer les conditions d’élevage optimales (c.-à d. substrat, âge des nématodes, dose) pour la production de grandes quantités de nématodes. En outre, le projet a permis de confirmer le potentiel de B. listronoti comme agent de lutte biologique contre le charançon de la carotte; des taux élevés de parasitisme (>50 pour cent) ayant été observés au cours d’expériences en milieu contrôlé. L’établissement de populations de nématodes dans les champs de carottes représente un défi, plus particulièrement en ce qui concerne la synchronisation de l’inoculation de nématodes avec le stade du cycle vital du charançon qui y est le plus vulnérable. Les essais réalisés jusqu’à maintenant n’ont pas confirmé que le B. listronoti arrive à s’établir dans les champs où il n’y a aucun historique de présence du nématode. Des études supplémentaires seront nécessaires pour valider l’impact du nématode sur le terrain dans des conditions agricoles commerciales.
Conclusion
Les résultats de ce projet constituent une base importante pour une meilleure compréhension de l’interaction charançon nématode et offrent des possibilités de mettre en place une technique pour le lâcher et l’utilisation du nématode sur le terrain. Ces résultats vont guider les futurs travaux visant à étudier davantage B. listronoti et son potentiel comme agent de lutte biologique indigène au Canada et ainsi contribuer à la mise en place d’une solution de lutte alternative contre le charançon de la carotte.
Les travaux de recherche sur cet agent de lutte biologique se poursuivent maintenant dans le cadre d’un nouveau projet visant à approfondir nos connaissances et poursuivre les études sur le terrain. Entretemps, AAC a entrepris un processus juridique pour breveter cette technologie de lutte biologique, et le ministère examine, avec certaines entreprises, les possibilités de commercialisation à grande échelle du nématode bénéfique. En fin de compte, la mise au point d’une stratégie de gestion intégrée qui comprend B. listronoti comme outil de lutte biologique mènera à une approche durable à long terme de lutte contre le charançon de la carotte, caractérisée par une réduction de la dépendance aux insecticides.