Utilisation de filets d’exclusion contre les ravageurs des légumes de la famille des Brassicacées

Code du projet STB19-010/PRR19-070

Chef de projet

Cezarina Kora et Carl Bélec - Agriculture et Agroalimentaire Canada

Objectif

Mener des essais de démonstration à la ferme pour valider l’efficacité des filets anti insectes durables en polyéthylène pour lutter contre de la mouche du chou dans les productions à l’échelle commerciale de légumes crucifères

Introduction

Les légumes crucifères sont largement produits au Canada, l’Ontario et le Québec fournissant 86 % de la production canadienne en 2023. La production durable de ces cultures est gravement touchée par les dommages causés par la mouche du chou (Delia radicum). Les larves se nourrissent des racines de jeunes plantes, qui meurent ou se rabougrissent, ce qui entraîne une baisse importante des récoltes. La lutte contre ce ravageur repose sur quelques insecticides disponibles. Cependant, la résistance de ce ravageur au chlorpyrifos, l’un des insecticides les plus utilisés, est bien connue; par ailleurs, le chlorpyrifos ne peut plus être utilisé depuis 2023.

Des recherches menées précédemment par des scientifiques d’Agriculture et Agroalimentaire Canada dans les provinces de l’Atlantique et en Colombie-Britannique ont montré que les filets tissés en polyéthylène constituent une barrière physique efficace contre la mouche du chou, une pratique largement adoptée par les agriculteurs européens. Le présent projet visait à valider de nouveau l’efficacité et la faisabilité de l’utilisation des filets anti-insectes pour atténuer les dommages causés par la mouche du chou dans les conditions agricoles commerciales, et à transférer cette technologie aux producteurs d’autres régions pour promouvoir l’adoption des filets comme solution de rechange au chlorpyrifos.

Approche

Le projet a été mené par une équipe du CIEL, centre de recherche provincial, dans diverses régions du Québec entre 2020 et 2022. Un rouleau mécanique (système HIWER permettant de manipuler les couvertures flottantes, de Dubois Agrinovation, au Québec) fixé à un tracteur a été utilisé pour installer et enlever le filet à tous les sites, à l’exception du site à St-Michel, où les filets ont été installés manuellement. Des essais de démonstration ont été réalisés dans 7 cultures commerciales de légumes crucifères, notamment : le chou chinois dans une ferme expérimentale de la région de Lavaltrie (2020); un champ de choux pommés précoce à l’Île d’Orléans (2021); deux champs de chou destiné à l’entreposage (deux variétés : Promise et Ancoma) à l’île d’Orléans (2022); un champ de semis de rutabaga et de navets à St-Anselme (2022); un champ de navets à St-Michel (2022). En 2020, des filets anti-insectes en polyéthylène de 13 m sur 100 m (Wondermesh Limited, Royaume-Uni) et à mailles de tailles différentes (0,6, 0,8 et 1,33 mm) ont été mis à l’essai sur des parcelles de 0,4 hectare. Dans les essais en 2021 et en 2022, le filet à mailles de 0,8 mm a été installé tout de suite après le repiquage, et les bords ont été fermement fixés à l’aide de barres d’armature en acier (environ 40 par filet) et de sacs de sable. Les filets ont été enlevés tout juste avant la récolte, sauf à l’île d’Orléans, où il a été enlevé pour l’épandage d’engrais granulé et l’installation d’un système d’irrigation goutte à goutte, ainsi que pour le désherbage.

Des parcelles témoins ayant été traitées aux pesticides conventionnels ont été comparées aux parcelles couvertes d’un filet, parmi des activités de dépistage des ravageurs, de maladies et de mauvaises herbes toutes les deux semaines. L’efficacité du filet a été évaluée par comparaison des récoltes et des dommages causés aux racines entre les parcelles couvertes et non couvertes. En général, l’application d’herbicides était la même dans les parcelles couvertes d’un filet et dans celles gérés au façon conventionnelle. Par la suite, des stratégies phytosanitaires ont été déterminées en consultation avec l’agronome conseiller du producteur en fonction de la pression des ennemis des cultures (maladies et insectes). En 2021, une parcelle de 0,13 hectare (1 producteur) a été couverte d’un filet, et sa superficie a été élargie à 2 hectares en 2022 (3 producteurs). Le nombre de pulvérisations de pesticides et les indicateurs provinciaux des risques pour la santé humaine et l’environnement ont été calculés, puis comparés entre les parcelles témoins et les parcelles couvertes d’un filet. Une analyse coûts-avantages partielle a été réalisée pour une période de 15 ans sur 1 hectare cultivées à l’aide des données de production de 2022 provenant de 3 sites de démonstration couverts d’un filet (2 choux d’entreposage et rutabaga). Dans le cadre de l’analyse, il a été supposé que le système HIWER avait une durée de vie de 15 ans et que les filets et les sacs de sable étaient remplacés tous les 7 ans.

Résultats

En 2020, la pression exercée par la mouche des racines était faible, et la présence d’œufs et de larves minime, mais la forte pression exercée par la fausse‑teigne des crucifères et le ver gris a gravement touché les récoltes (les données de cet essai ne sont pas présentées).

En 2021, il y a eu une diminution notable de l’application de pesticides dans le champ de choux sous filet et les récoltes ont été comparables à celles des parcelles conventionnelles, le poids moyen des choux étant de 2,74 ± 0,37 kg dans les parcelles sous filet par rapport à 2,65 ±0,77 kg dans les parcelles traitées de façon conventionnelle. Seule une application d’herbicide avant plantation a été effectuée dans la parcelle sous filet, alors que les parcelles conventionnelles ont fait l’objet de six applications d’insecticide, de trois applications de fongicide et d’une application d’herbicide. Malgré l’augmentation de l’humidité relative sous le filet et l’absence de traitement aux fongicides, aucune augmentation de l’incidence des maladies ou des dommages n’a été observée. Le producteur a constaté que les choux sous le filet étaient prêts à être récoltés de 5 à 7 jours plus tôt, sans nuire au rendement.

En 2022, le projet a été mené dans une ferme où le chou d’été (variété Promise) a été planté à la mi-mai, ainsi que dans un autre site où le chou d’hiver (variété Anacoma) a été planté à la fin mai. La pression de la mouche du chou était élevée chez le chou d’été, et 92 % des plantes présentaient des dommages sur les racines dans la parcelle conventionnelle par rapport à 8 % dans la parcelle couverte d’un filet, au stade de 12 feuilles. Dans la parcelle conventionnelle, des dommages ont été observés sur 10 à 25 % de la surface des racines, mais 24 % des choux présentaient des dommages importants. Dans la parcelle sous filet, les dommages couvraient moins de 10 % de la racine. La pression de la mouche du chou était plus faible chez le chou d’hiver, et seulement 3 des 25 plantes observées présentaient des dommages dans la parcelle sous filet, tandis que, dans les parcelles conventionnelles, 44 % des plantes présentaient des dommages de faible gravité (< 25 %). Aucune différence statistique n’a été constatée entre les rendements de la parcelle sous filet et ceux des parcelles conventionnelles (c.-à-d. chou d’été sous filet : 3,26 ± 0, 66 kg; conventionnelle : 3,29 ± 0, 82 kg). De plus, les dommages causés par les autres insectes étaient plus importants dans les parcelles de choux conventionnelle (de 44 à 90 %) que dans les parcelles de choux sous filet (de 9 à 12 %), où les dommages causés par les larves de la fausse-teigne ont été observés principalement sur les bords du filet. Toutes les parcelles de chou conventionnelle ont fait l’objet de huit applications d’insecticides, alors que la parcelle sous filet a fait l’objet d’une ou deux applications.

De même, les champs de navets sous filet présentaient moins de dommages et leurs rendements étaient comparables à ceux des parcelles conventionnelle. Les poids moyens des navets dans les parcelles conventionnelle et dans les parcelles sous filet ont été respectivement de : 84 g par rapport à 102 g à St-Anselme; 219 g par rapport à 206 g dans le champ ensemencé en mai à St-Michel; 211 g par rapport à 211 g dans le champ ensemencé en juillet à St-Michel. Le champ de rutabaga sous filet affichait un rendement plus faible, correspondant à environ la moitié de celui des parcelles conventionnelles, probablement attribuable à une fertilisation inadéquate et à la forte pression exercée par l’altise.

Dans l’ensemble, l’utilisation d’un filet a permis de réduire considérablement l’utilisation d’insecticides, soit entre 1 et 9 applications (réduction de 33 à 90 %) de moins par rapport aux parcelles conventionnelles, sans compromettre le rendement, en particulier dans le cas du chou, où il y a eu de 8 à 9 applications de moins. La réduction des pulvérisations d’insecticides a entraîné une diminution des indicateurs de risque pour la santé humaine et l’environnement dans les parcelles de rutabaga sous filet (soit 359 et 121, respectivement) par rapport aux parcelles témoins (soit 2 781 et 2 972, respectivement, en grande partie en raison de 3 applications de chlorpyriphos).

L’analyse coûts-avantages a montré que l’utilisation de filets avec le système mécanisé HIWER est coûteuse par rapport à l’application d’insecticides. Les frais généraux sont d’environ 20 000 $ en raison du coût du matériel lié au filet, de l’équipement et de la main-d’œuvre (pour l’installation, la fixation et l’enlèvement). En raison de la nature des essais de démonstration, il est difficile d’ajuster les avantages du filet par rapport à la réduction du rendement et de la qualité des légumes sans l’utilisation d’insecticides perdus en raison du retrait de l’homologation.

Conclusion

Les démonstrations de filets anti‑insectes ont montré que cette technologie offre plusieurs avantages aux producteurs. L’adoption de cette pratique dans le cadre d’un système de lutte intégrée contre la mouche du chou dans les cultures de légumes crucifères pourrait réduire considérablement ou éliminer complètement le besoin de traitements d’insecticides chimiques, ce qui répondrait aux préoccupations concernant la résistance aux insecticides et la pollution de pesticides dans l’environnement. Les retombées pour les producteurs devraient être élevées, car le filet offre une solution de rechange efficace aux insecticides qui ne peuvent plus être utilisés contre les ravageurs des crucifères. L’obstacle économique lié à l’adoption d’un système de filets, comme le système HIWER, pourrait être surmonté grâce à des programmes coopératifs de partage d’équipement et de subventions.