Surcyclage de déchets vinicoles : en exploitant le potentiel du marc, Kirk Moir fait du même coup un pairage saveur-durabilité

Du rôti le plus succulent aux sablés les plus fins, un accord mets-vin judicieux peut rehausser n'importe quel plat. Cependant, bien que le vin complète délicieusement un repas, son processus d'élaboration s'accompagne de sous-produits qui sont souvent gaspillés et mis en tas de compost. Mais Kirk Moir et l'équipe de Crush Dynamics entendent démontrer que les déchets vinicoles peuvent être tout aussi polyvalents et complémentaires que le vin lui-même.

À travers les branches… de vignes!

Kirk Moir

Kirk connait bien le monde agricole. Ayant grandi dans une ferme du Manitoba, il a toujours été intéressé par l'agriculture, mais son parcours a pris un autre tournant à l'université. Détenteur d'une spécialisation en génie informatique, il a développé son esprit entrepreneurial en aidant des entreprises à démarrer. Il a adoré le défi posé par la mise à l'échelle d'entreprises et la transformation d'un prototype en un produit commercial, même si tout au long de son parcours professionnel, Kirk n'a jamais oublié ses racines agricoles.

En 2019, Kirk était à l'affût d'une nouvelle occasion d'affaires. Il venait tout juste de vendre sa société et un ami lui a parlé de Crush Dynamics, une entreprise en démarrage située sur le territoire non cédé de la nation Syilx Okanagan dans la vallée de l'Okanagan. Kirk apprend que l'entreprise avait mis au point un processus pouvant aider les vineries à surcycler leurs sous-produits. Bien qu'il n'ait jamais beaucoup réfléchi aux enjeux de gaspillage alimentaire et encore moins à la notion de surcyclage, il a été intrigué par le projet de cette entreprise et s'est empressé de contacter les cofondateurs de Crush Dynamics, Bill et Alexandra Broddy, ainsi que leur scientifique en chef, Gary Strachan.

Bill explique à Kirk comment lui est venue l'idée de Crush Dynamics : un jour qu'il faisait du vélo, il a aperçu une ourse et ses petits en train de manger du marc qu'une vinerie avait jeté sur un tas de compost. Interrogé plus tard sur l'amertume du marc, Gary, un ancien chercheur dans le domaine vitivinicole à Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), explique que le marc est riche en polyphénols, des composés végétaux qui donnent un goût amer aux plantes. Le marc est souvent jeté parce que son amertume décourage son usage pour la consommation humaine, bien qu'il regorge de matières organiques et de nutriments consistants qui en font un aliment parfait pour un ours qui se prépare à hiberner.

Qu'est-ce que le marc?

Le marc est un sous-produit de la vinification, composé de la pulpe et de la peau des raisins. Les raisins sont pressés pour en extraire le jus, soit avant la fermentation dans le cas des vins blancs, soit après la fermentation dans le cas des vins rouges.

Bill, Alexandra et Gary tentaient déjà de transformer ce goût amer en quelque chose de plus appétant. Puisque l'on fait des accords vins-mets pour en rehausser la saveur, pourquoi ne pourrait-on pas faire de même avec le marc? Le trio avait ajouté avec succès de la poudre de marc séché à des aliments tels que des saucisses, des fromages et des biscuits salés, mais Bill savait que le marc avait encore beaucoup de potentiel à exploiter.

Kirk a vu dans ce manque d'exploitation d'une ressource une possibilité d'affaires à saisir : « Cela me ramenait à mes origines agricoles, tout en me permettant de mettre à profit mon expérience professionnelle du démarrage d'entreprises. L'idée de réduire le gaspillage dans le domaine vinicole était passionnante », se souvient Kirk.

Grâce aux connaissances entrepreneuriales de Kirk, l'équipe a commencé à réfléchir à la façon dont ils pourraient amener les viniculteurs à voir autrement leurs sous-produits.

La solution réside dans la fermentation

Même si le séchage à la chaleur est efficace pour la conservation du marc, c'est un processus énergivore qui prend beaucoup de temps; il peut constituer une solution locale, mais certainement pas une panacée universelle. Par ailleurs, le séchage aggrave l'amertume du marc, limitant encore plus son potentiel.

Le moment du traitement du marc est également critique. Une fois le pressage des raisins terminé, les viniculteurs doivent s'occuper du marc rapidement, sinon il s'altère. L'équipe devait mettre au point un processus sans heurt qui serait facile à utiliser par des vineries de partout dans le monde.

Raisins verts sur une vigne

La solution résidait dans la fermentation du sous-produit.

« Nous avons découvert que la fermentation adoucit les polyphénols et désamérise le marc », explique Kirk.

Au lieu de composter le marc, les viniculteurs n'auraient qu'à le déposer dans un récipient spécialisé transportable qui préserve les cellules du marc pendant la fermentation. La fermentation serait entamée à la vinerie dans le récipient, appelé bioréacteur, puis ce dernier serait transporté vers une installation centrale pour que le processus soit achevé.

Il en résulterait une purée savoureuse, moins couteuse à produire et qui est riche en antioxydants. Ces composés protègent les cellules contre les substances chimiques dangereuses qui se forment naturellement. Par sa concentration élevée en antioxydants, la purée de marc fermenté qui est ajoutée aux aliments prolongerait leur durée de conservation en plus de renforcer le pouvoir d'autres ingrédients, rendant les sels plus salés et les sucres plus sucrés. Les transformateurs alimentaires pourraient ainsi réduire les quantités de sel et de sucre dans leurs formulations.

Forts des connaissances acquises par Kirk dans le démarrage d'entreprises et des bases scientifiques jetées par l'équipe, les membres de l'équipe étaient prêts à porter leur projet de bioréacteur à une plus grande échelle pour en accroître l'accessibilité. Toutefois, cet objectif impliquait un lot de nouveaux défis nécessitant beaucoup de ressources et de contacts.

Finalement, ils ont eu besoin du coup de pouce d'un ami.

Un réseau en expansion

Lorsque cet ami a parlé à Kirk du volet des « Technologies novatrices » du Défi de réduction du gaspillage alimentaire lancé par AAC, Kirk a estimé qu'il s'agissait d'une excellente occasion de démontrer à un jury d'experts comment la technologie de son équipe pouvait contribuer à rendre l'industrie vinicole une industrie zéro-déchets.

Le défi de la réduction du gaspillage alimentaire

Dans le cadre de la Politique alimentaire pour le Canada, AAC a lancé le Défi de réduction du gaspillage alimentaire, aussi appelé « le Défi », le 19 novembre 2020. Le Défi a été créé pour accélérer et faire progresser le déploiement de solutions diverses et à fort impact en réponse au gaspillage alimentaire au Canada. Il comprend trois étapes de rédaction de rapports au cours desquelles les innovateurs rivalisent pour obtenir une subvention d'un montant plus élevé selon les résultats de leur projet. Le Défi comporte les deux volets suivants : « Technologies novatrices » et « Modèles d'affaires ». Dans le volet « Technologies novatrices », les candidats doivent présenter une technologie novatrice qui est rendue à l'étape de l'essai ou du prototype et qui prolonge la durée de conservation de produits périssables ou qui surcycle un aliment gaspillé ou un sous-produit alimentaire en un autre produit.

Les efforts de l'équipe ont porté fruit lorsqu'elle a été choisie comme demi-finaliste et qu'elle a reçu une subvention de 100 000 dollars pour rendre le bioréacteur disponible à l'extérieur de la vallée de l'Okanagan. Mais plus que le financement, ce sont les relations qu'ils ont nouées en participant au défi qui ont été les plus précieuses.

Lors de la deuxième étape du défi, Kirk a participé à un événement appelé Talk2Scientists. À titre de demi-finalistes au volet « Nouvelles technologies » du Défi où du soutien non financier est aussi offert, Kirk et son équipe ont pu rencontrer des conseillers d'Innovation, Sciences et Développement économique Canada et du Conseil national de recherches du Canada (CNRC). Ces conseillers leur ont donné divers conseils — allant du financement d'entreprise à des conseils techniques — et les ont aidés à solliciter divers programmes et services gouvernementaux.

« Nous étions plutôt sceptiques au début, mais après avoir vu la première diapositive, nous avons appris l'existence du programme Production durable de protéines qui vise à accroître la valeur de protéines végétales », explique M. Kirk. « Depuis, nous avons commencé à collaborer avec l'équipe du CNRC pour utiliser des protéines durables dans nos purées ».

À chacune des étapes, les relations nouées par Kirk et son équipe leur ont permis d'avancer vers la concrétisation de leur vision. Depuis le Défi, ils ont pu développer leurs réseaux et commercialiser leur technologie auprès d'entreprises de transformation alimentaire qui incorporent leur purée de marc dans des formulations. Aujourd'hui, Kirk estime qu'ils sont prêts à réaliser ce qui a toujours été leur objectif : aider les viniculteurs du monde entier à exploiter le potentiel du marc.

 

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