Les premiers seize pour cent - EP 005

Les premiers seize pour cent est la nouvelle série de balados d’Agriculture et Agroalimentaire Canada qui explore les idées les plus fraîches en alimentation et en agriculture. À chaque épisode, découvrez en profondeur un nouveau sujet : les nouvelles pratiques, les idées innovantes et leurs impacts sur l'industrie. Apprenez-en davantage sur le secteur agricole canadien auprès des gens qui font les percées et abattent les barrières! Producteurs et gourmets, scientifiques et hauts dirigeants, toute personne ayant un œil sur l'avenir du secteur, ce balados est pour vous! Un nouvel épisode est publié chaque mois.

Épisode 005 - Sauver les nutriments grâce à une science novatrice

Christopher Garnham et son équipe à AAC ont découvert quelque chose de très petit qui pourrait avoir de grandes répercussions dans l'industrie de l'alimentation humaine et animale. Certaines cultures comme le maïs et le blé peuvent être infectées par un champignon qui, en se développant, produit des mycotoxines. L'ingestion d'aliments contaminés aux mycotoxines est préjudiciable à la santé du bétail et des humains. Écoutez Christopher Garnham expliquer comment son équipe et lui ont découvert une enzyme qui a le potentiel de diminuer le risque que représente cette toxine.

Transcription

Chris: C'est l'une des sensations les plus cool en science où, quand vous avez fait ça, vous regardez quelque chose que personne d'autre n'a jamais vu auparavant.  Ça vous pousse toujours à faire de nouvelles découvertes.

Sara: Re-bienvenu aux premiers seize pourcents, je suis Sara Boivin-Chabot.

Kirk: Et je suis Kirk Finken. L’épisode d’aujourd’hui va vous faire sauter les chaussettes agricoles.

Sara: En agriculture, nous sommes confrontés à cet éternel défi, cette course aux armements - la gestion des maladies dans les cultures et la conservation des nutriments dans le cycle alimentaire.

Kirk: C’est un grand défi. Et où trouvons-nous la réponse?

Sara: C'est dans les plus petites molécules possibles. Nous parlons d'enzymes.

Sara: Une enzyme, c’est une protéine qui existe dans tous les êtres vivants - plantes, animaux, micro-organismes. Ce sont les bête de somme moléculaires, les nano-machines. Elles accélèrent la vitesse de pratiquement toutes les réactions chimiques qui se déroulent dans les cellules. En termes simples, elles aident à convertir un produit chimique en un autre.

Kirk: Elles sont comme des agents de changement moléculaire.

Sara: Nous nous sommes entretenus avec l'un de nos chercheurs scientifiques qui travaille sur les enzymes.

Kirk: Ouais. Il utilise des enzymes pour détoxifier le maïs infecté par la maladie. Il travaille sur un projet qui aura potentiellement d'énormes ramifications - pour les producteurs de maïs, les producteurs d'éthanol et les éleveurs.

Sara: Il reste encore quelques années au projet. Mais ils ont déjà fait des percées importantes.

Kirk: Il s'agit d'une science nouvelle et appliquée qui se déroule ici, dans les laboratoires d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Sara, es-tu prête? Sors ton diffractomètre cristallographique à rayons X.

Sara: J'ai activé le mien.

Chris: Je m'appelle Chris Garnham. Je suis chercheur scientifique à Agriculture et Agroalimentaire Canada à London, Ontario, et vous écoutez les 16 premiers pourcent.

Sara: Chris Garnham et son équipe ont travaillé avec des partenaires industriels du secteur de l'éthanol.

Kirk:  Attends. Attends. Pardon. Avant de parler avec lui, je pense que nous avons besoin d'un cours intensif sur l'éthanol. Avant même de parler d'enzymes.

Sara: Je pense que tu as raison. L'éthanol est un biocarburant à base de maïs. C’est essentiellement comme faire de l’alcool. La majorité du maïs cultivé dans le sud de l'Ontario est sert à ça

Kirk: Et le sous-produit de la fabrication de l'éthanol est une délicieuse purée de maïs qui contient encore beaucoup de nutriments. Il est appelé grains de distillerie séchés avec solubles ou GDSS.

Sara: Ce sous-produit sert principalement à nourrir des porcs. Donc, c'est un sous-produit très précieux. Il est en fait essentiel à la viabilité financière de la production d’éthanol. Et ce sont ces nutriments qui doivent rester dans le cycle alimentaire.

Kirk: Le problème se pose lorsque vous avez du maïs infecté par la maladie.

Sara: Il existe un certain type de champignon qui infecte le maïs - le fusarium. Ce champignon est vraiment effronté. Il crée sa propre armure protectrice sous la forme d'une mycotoxine. Mais il se passe quelque chose d'encore plus spécial avec ses enzymes. Je vais laisser Chris expliquer…

Chris: Nous avons identifié différentes souches d'Aspergillus niger, un type de champignon qui se développe généralement sur des matières organiques mortes ou en décomposition. Ce champignon produit de la fumonisine qu'il utilise comme outil de survie car il lui permet, je suppose, de décomposer l'hôte sur lequel il se développe.

Mais comment certains de ces champignons survivent-ils aux effets toxiques de leurs propres toxines ?

Ce que nous pensons avoir potentiellement identifié est un mécanisme d'autoprotection pour cette espèce particulière de champignon, qui est l’Aspergillus niger, où il peut non seulement fabriquer sa propre toxine qui lui permet d'améliorer sa survie dans la nature.

Mais il produit également une enzyme capable de détoxifier cette toxine afin qu'elle ne soit plus toxique pour lui-même.

Kirk:   Lorsque nous entendons les mots "toxines" et "mycotoxines", il est normal qu'un sonnette d'alarme se déclenche. Il est important de noter que les mycotoxines sont d'origine naturelle. Elles sont produites par certaines moisissures (champignons) qui se développent sur diverses cultures. Et elles faisaient partie du monde naturel bien avant l'apparition de l'homme.

Sara: C’est brillant! Mais écoute comment cela s'intègre dans la solution.

Chris: Ça nous ouvre donc en quelque sorte de nouvelles fenêtres de recherche et nous permet d'essayer de comprendre les différents types de mécanismes de protection que ces champignons ont contre leurs propres toxines.

Nous avons eu la chance d'identifier ce que nous pensons être un des mécanismes de protection de ce champignon et que ce soit de nature enzymatique. Ce qui est très intéressant pour moi, car je m'intéresse à la biochimie et à la compréhension du fonctionnement des protéines au niveau moléculaire.

Kirk: Comment pouvez-vous voir leur fonctionnement?

Chris: Et donc, c'est un peu comme dans la vie où si on comprend la structure d'une chose, on comprend beaucoup mieux comment cette chose fonctionne, par exemple avec une chaussure. Si on a une chaussure et qu’on n’a aucune connaissance préalable de son fonctionnement, on peut au moins en déduire une fonction potentielle de cette chaussure en se  basant uniquement sur sa structure globale. On voit que ça a la forme d'un pied en dessous. Il y a une sorte de caoutchouc qui va lui permettre d'avoir une certaine traction contre une surface sur laquelle on va potentiellement marcher. C'est donc la même chose pour les enzymes. Et si on peut comprendre la structure de cette enzyme au niveau moléculaire, cela donne une très bonne compréhension de son fonctionnement.

Kirk: J'aime l'analogie de la chaussure. Vous allez donc découvrir la structure de l'enzyme ou de la protéine.

Chris C'est presque comme quand ils ont eu le télescope Hubble pour la première fois et qu'ils ont réalisé que toutes les images qui revenaient étaient floues. Il faut qu’ils fassent quelques réglages. Et une fois qu'ils ont finalement réglé ces problèmes, tout à coup, ils ont obtenu de nouveau ces images claires comme de l’eau de roche, de magnifiques constellations et étoiles et tout ce qui se trouve dans l'espace. Et c'est un peu pareil quand on fait de la biologie structurelle sur différentes enzymes.

C'est comme, on cherche, on cherche, on cherche jusqu’à ce qu’on obtienne les bonnes conditions et puis tout d'un coup tout se met en place et maintenant on a cette image claire comme du cristal de cette molécule qui est presque incompréhensiblement petite. Mais maintenant, tout d'un coup, on peut la voir.

 

Sara: Et comment le voyez-vous? Comment avez-vous réussi cette percée?

Chris : Cela fait partie de la frustration de la science, mais aussi de sa beauté, car on peut travailler sur quelque chose pendant très longtemps. Et une fois que l'on a fait enfin cette découverte, tout le travail en vaut en quelque sorte la peine. Lorsqu’on travaille avec une protéine qu’on ne peut pas la voir de ses propres yeux, c’est qu'elle est extrêmement petite. On parle de nanomètres, comme si on pensait à un cheveu humain ou à des ordres de grandeur plus petits que la largeur d'un cheveu humain lorsqu'il s'agit de protéines. Mais il existe des outils et des techniques qui nous permettent de voir potentiellement à quoi ressemble cette protéine au niveau moléculaire. Et l'une des principales techniques que j'utilise dans mon laboratoire est la cristallographie par rayons X.

Kirk: Okay. X-Ray Crystallography. Ok. Cristallographie aux rayons X. J'ai fait une blaguelà-dessis au début. Ce n'est pas exactement des mots de tous les jours. Je suppose que c'est juste une façon d'obtenir une image de l'enzyme une fois qu'elle a pris une forme cristallisée. C'est bien ça? 

Sara: Exactement. C'est une façon très sophiistiquée de faire ces modèles que nous utilisons pour faire dans la classe de chimie au secondaire, avec des bâtons et de la pâte à modeler. En gros, vous faites une radiographie de l'enzyme et vous voyez des choses que vous n'avez jamais vues auparavant. J'ai donc demandé à Chris ce qu'il voyait à ce moment-là, parce qu'on dirait que c'est exactement à ce moment-là que la vérité est révélée sur ces enzymes. 

Chris: Chaque fois qu’on une découverte scientifique, c'est ce qui nous motive.  Il y a différents niveaux de qu’on peut faire et parfois on peut mettre en place une expérience et on obtient le résultat attendu et c'est bon.  Mais de temps en temps, on peut faire une découverte qui nous fait réaliser qu’on est les premiers au monde à comprendre cela. J'ai eu la chance de faire quelques découvertes de ce genre au cours de ma carrière et je peux toujours me rappeler où j'étais pour chacune d'entre elles. Et en particulier, bien sûr, dans ce cas-ci. Nous avons eu un peu de mal à identifier cette enzyme. Et finalement il semble que nous avons tout compris ici. Alors nous avons laissé se produire notre réaction chimique et nous l'avons laissée se faire pendant la nuit. Et nous l'avons fait tourner sur une machine le lendemain. Et le résultat a été aussi clair que le jour. Et nous nous en sortons bien ici. Nous pouvons voir le produit de départ maintenant. Nous l'avons traité avec notre enzyme et l'avons converti en produit final. L’enzyme fait exactement ce que nous attendons d’elle.  Cela nous a permis d'apprécier pleinement les impacts potentiels que cette enzyme pourrait avoir plus tard.

Kirk : Quels sont les avantages de l'utilisation d'enzymes, plutôt que de certains moyens chimiques de décontamination du GDSS?

Chris: Les enzymes en général sont très rentables en termes de capacité de décontamination des aliments et des aliments pour animaux, parce que lorsqu’on a une enzyme, elle est très efficace pour effectuer cette réaction encore et encore et encore. Il suffit donc d'ajouter une très petite quantité d'enzymes pour nettoyer ce qui pourrait être de très grandes quantités de toxines présentes dans la solution.

Il est donc toujours intéressant de parler avec des personnes qui ne sont peut-être pas aussi au courant de la biochimie de certains de ces outils et de leur faire savoir que seule une très petite quantité de protéine ou d'enzyme peut avoir un très grand effet sur le produit final de l'aliment ou de l'aliment pour animaux que nous essayons de traiter.

Dans ce cas, l'enzyme que nous avons trouvée est très spécifique pour les mycotoxines particulières qui nous intéressent, pour les convertir en une forme moins toxique. Et nous n'avons pas à nous inquiéter que cette enzyme cible d'autres types de molécules présentes dans ces échantillons d'aliments ou d'aliments pour animaux, car l'enzyme a évolué pour être très spécifique pour cette toxine qui nous intéresse.

Nous pouvons donc utiliser de faibles quantités, de très faibles quantités de cette enzyme, ce qui rend économiquement possible la détoxication de très grandes quantités de denrées alimentaires ou d'aliments pour animaux contaminés.

Sara: Ce type de travail peut prendre des années - des tests aux essais en passant par la commercialisation.Où en êtes-vous avec le projet?

Chris: Nous travaillons donc avec nos partenaires industriels pour tester nos différentes enzymes candidates dans leurs systèmes de production, et ils vérifient donc s'il sera possible de fabriquer cette enzyme dans les saccharomyces, la levure qu'ils utilisent pour la fermentation et la production de bioéthanol. Et si c'est le cas, elle peut produire à un niveau suffisamment élevé pour être efficace dans la détoxification des aliments contaminés.

En ce qui concerne la date butoir à laquelle nous saurons si nous aurons un produit commercial ? Nous ne sommes pas sûrs, espérons que d'ici quelques années des tests rigoureux et la compréhension des meilleures conditions pour que cette enzyme fonctionne à une échelle industrielle ?

Sara:  Ce type de recherche prend du temps. Mais la découverte de cette enzyme spécifique a un potentiel assez important. Comme pour beaucoup de choses dans l'agriculture et l'alimentation, il y a un effet domino. Oui, elle détoxifie le maïs. Et à l'échelle, on parle d'économiser les déchets, de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il y a aussi des économies potentielles. Et tous ces avantages dépassent de loin le temps consacré à la recherche.

Kirk : Et en attendant, nous travaillons sur d'autres épisodes. Nous parlerons avec la prochaine génération dynamique de producteurs, de transformateurs et d'innovateurs de notre secteur.

Sara: Et, en attendant, vous savez quoi faire?

Kirk:  Certainement… Explorer.

 

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Épisode 005 - Sauver les nutriments grâce à une science novatrice

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