Les premiers seize pour cent est la série de balados d'Agriculture et Agroalimentaire Canada qui explore les idées les plus fraîches en alimentation et en agriculture. À chaque épisode, découvrez en profondeur un nouveau sujet : les nouvelles pratiques, les idées innovantes et leurs impacts sur l'industrie. Apprenez-en davantage sur le secteur agricole canadien auprès des gens qui font les percées et abattent les barrières! Producteurs et gourmets, scientifiques et hauts dirigeants, toute personne ayant un œil sur l'avenir du secteur, ce balados est pour vous! Un nouvel épisode est publié chaque mois.
Épisode 021 - Faire la lumière sur la fraude alimentaire
Agriculture et Agroalimentaire Canada et l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) se réunissent dans cet épisode spécial en deux parties sur la fraude du miel. Écoutez ici un scientifique de chaque organisme expliquer comment ils identifient les produits frauduleux - et allez visiter le balado Inspecter et protéger de l'ACIA pour connaître le point de vue d'une gestionnaire de politiques et d'un apiculteur!
Transcription
Kirk : Bonjour et bienvenue aux Premiers 16 %. Je suis Kirk Finken.
Sara : Et je suis Sara Boivin-Chabot. Le printemps a été difficile cette année pour les apiculteurs, principalement à cause d'un parasite des abeilles, le varroa. S'il y a des chercheurs qui travaillent actuellement sur le sujet, aujourd'hui on vous fait part d'une autre menace au modèle d'affaire des apiculteurs : l'adultération du miel.
Kirk : L'adultération, c'est de la fraude alimentaire. C'est diluer du miel avec de l'eau et du sucre par exemple, pour faire plus de profit ou pour casser les prix.
Sara : Et, comme les parasites et les maladies, la fraude alimentaire évolue chaque année.
Kirk : Et qui dit fraude alimentaire, dit Agence canadienne d'inspection des aliments, ou ACIA. C'est l'organisation gouvernementale qui s'assure, entre autres, que les aliments qui sont sur nos tablettes sont authentiques. Ils doivent toujours être à l'affût des fraudeurs. Et ils doivent toujours avoir l'avantage technologique.
Sara : C'est pour ça qu'aujourd'hui on rencontre un chimiste de l'Agence, Jonathan Haché, qui parle des processus de détection des fraudes. On parle aussi à Alain Clément, chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada, qui lui développe des outils pour rester à l'avant de la courses aux armements contre les fraudeurs. Et c'est là que ça devient intéressant, parce que l'ACIA a aussi un balado, qui s'appelle Inspecter et protéger. Et dans leur balado aujourd'hui, il rencontre un inspecteur et un apiculteur qui vont compléter le portrait de la fraude alimentaire.
Kirk : Et spécifiquement les enjeux qui découlent de l'adultération du miel. Donc si vous nous arrivez depuis Inspecter et protéger, un bienvenu tout particulier aux Premiers 16%! Et si vous êtes d'abord avec nous, n'oubliez pas d'aller écouter l'épisode de l'Agence pour faire le tour du sujet!
Sara : On parle d'abord avec Jonathan Haché, chimiste pour l'ACIA. Jonathan, est-ce qu'on peut avoir une petite histoire de la fraude du miel?
Jonathan : Ben, je travaille sur l'authenticité du miel depuis plus de 20 ans, et je dirais qu'à l'origine, la falsification, c'était quelque chose de très simple. Ça pouvait être aussi simple que de diluer les sirops. Et si vous ajoutez, mettons, 20 %, peut-être que personne va le remarquer. Donc ça a évolué depuis et ça devient constamment un peu plus complexe, au lieu d'ajouter un sirop facile à déceler, ils en ont un qui imite un peu plus le miel. Tsé, les gens qui sont des fraudeurs peuvent aussi engager des chimistes. Ils peuvent donc faire les analyses que nous on fait et ils peuvent savoir : « Bon, j'ai trouvé quelque chose qui pourrait me permettre de passer le test. » La fraude devient donc de plus en plus sophistiquée, ça veut dire que les analyses doivent aussi être de plus en plus sophistiquées. L'idée, c'est donc d'essayer de garder une longueur d'avance ou au moins de ne pas prendre trop de retard.
Kirk : Quelles sont les technologies utilisées pour détecter la fraude?
Jonathan : Dans le passé, c'était des techniques de chimie simples. En gros, quel est le taux d'humidité dans l'échantillon? Cela vous renseigne un peu sur la dilution. Ou combien de sucre il contient? Alors si on regarde juste le glucose et le fructose... c'est ce qu'on avait l'habitude de faire. La technique standard des vingt dernières années s'appelle la spectrométrie de masse des isotopes stables. Elle cible un carbone spécifique et permet de déterminer l'origine du sucre. Il s'agit pas seulement de savoir si c'est le même sucre, mais s'il provient du même endroit ou s'il est issu du miel ou du maïs. Et puis il y a les sirops plus complexes ou de types différents comme le riz ou la betterave, cette technique ne permet pas de les déceler. Les analyses ont donc évolué et on utilise désormais la résonance magnétique nucléaire ou encore RMN. Ça permet d'obtenir un vrai profil du sucre. Ça donne une empreinte digitale, si on veut. Il existe donc une base de données de dizaines de milliers d'échantillons de miel authentique. Ça donne une idée de ce que ce miel devrait être, et ensuite on compare notre échantillon avec les échantillons de cette base de données-là. Le système est donc beaucoup plus évolué et permet de détecter des falsifications très subtiles, au point que certains sirops sont même commercialisés comme étant capables de réussir le test des rapports isotopiques. Eh bien, ils peuvent se faire prendre grâce à cette analyse par RMN plus élaborée. Mais ce n'est pas infaillible non plus, parce que dès qu'on trouve un moyen de déceler les fraudes, ils cherchent un moyen de créer des sirops qui réussiront les tests. C'est donc un peu le jeu du chat et de la souris.
Sara : Pourquoi le miel c'est un produit qui est si souvent frelaté?
Jonathan : En surface, c'est juste du sucre et de l'eau, mais c'est très compliqué quand on y réfléchit, et il y a tellement de types de miel différents, de saveurs différentes de miel. Donc, ça peut être assez facile de faire passer un miel auquel on a ajouté 10 % de sucre parce que toute la saveur est encore là. Tsé, 10 %... Le coût du sucre représente probablement 5 % du coût du miel. Vous pouvez donc gagner un peu d'argent, et je pense que c'est une des motivations, et c'est un peu difficile à trouver. Ce n'est pas nécessairement un enjeu de santé, donc ce n'est pas quelque chose dont les gens parlent beaucoup. Ce serait différent si c'était « le miel falsifié va vous tuer ». Ce n'est pas ça dans la majorité des cas. C'est correct. Vous avez juste été floué. Mais en même temps, je pense que ça a juste à voir avec la facilité avec laquelle on peut le falsifier, ou pouvait le falsifier. Ça devient de plus en plus difficile. Et aussi le fait que le miel lui-même se décline en plusieurs goûts et saveurs, ce qui complique les choses. Tsé, le consommateur qui le goûte remarquera probablement pas de différence.
Kirk : Et dans votre carrière, à date, c'est quoi la chose la plus innovante que vous aillez vu faire par un fraudeur?
Jonathan : La chose que je trouve la plus intéressante, c'est qu'on peut chercher des sirops de miel qui ont été précisément élaborés pour tromper les analyses. Ils sont commercialisés comme du sirop de riz et réussiront le test, notamment l'analyse des rapports isotopiques stables. Ils sont commercialisés sur la base qu'ils passent le test; on dit donc : « Eh! vous pouvez utiliser ça ». Les fraudeurs sont vraiment très habiles; ils nettoient le sirop grâce à des méthodes chimiques ou à des méthodes de filtrage pour que rien ne permette de détecter le miel falsifié.
Sara : Donc, est-ce que vous passez du temps sur Internet à chercher des nouvelles technologies de fraudes, puis à fréquenter le côté obscure du Web?
Jonathan : Peut-être pas tant le Web clandestin, mais c'est sûr, une partie du travail c'est de se tenir au courant des nouvelles technologies, de garder le contact avec d'autres collègues du gouvernement qui font la même chose. Qu'est-ce qu'ils entendent au sujet de nos inspections et de nos programmes? Ils gardent aussi un œil sur les importations et les exportations, par exemple. Et quand on peut, on participe à des conférences pour rencontrer les laboratoires privés, qui sont souvent ceux qui mettent au point les tests, ou les grandes entreprises apicoles qui sont des producteurs et des conditionneurs qui veulent aussi des produits honnêtes, parce qu'ils ne veulent pas que les produits qu'ils achètent et revendent ensuite soient qualifiés de frauduleux. Ça leur donne une mauvaise image. Donc, une grande partie, c'est du bouche-à-oreille. Juste en participant à ces réunions-là et en parlant aux gens, vous finissez par entendre des choses comme « Oh, cette pratique existe? Bon, ben j'en prends note et je regarde ça à mon retour au labo pour voir si ça se passe au Canada ». Ce genre de choses.
Kirk : Sara, on dirait que c'est une vigilance technique et constante.
Sara : Oui, et c'est un espace où l'innovation est nécessaire. C'est pourquoi on a aussi parlé à Alain Clément, chercheur au centre de recherche de Saint-Hyacinthe d'AAC. Autant Jonathan était dans la détection de la fraude au quotidien, autant Alain lui est plus dans le développement de nouveaux outils pour identifier les aliments frelatés. Il nous parle de la technologie qu'il a développé avec son équipe : le SpectrAAC-2, qui permet à la fois de détecter la nature des échantillons : est-ce que c'est vraiment du miel, est-ce que c'est vraiment de l'huile d'olive? Mais aussi la fraicheur! Est-ce que l'huile a été récoltée cette année ou ça fait trois ans qu'elle est dans un baril?
Kirk : Oui et pour ça, il utilise la lumière, les technologies optiques! Le spectre optique – d'où le nom de l'appareil, SpesctAAC-2. M. Clément, vous êtes spécialiste dans la caractérisation des aliments. Avant de parler de votre innovation, pouvez-vous nous décrire les techniques optiques utilisées pour caractériser les aliments?
Alain : Vous savez, il existe plusieurs grandes familles de méthodes optiques. La plus connue est la spectroscopie du proche infrarouge. C'est une méthode classique qui existe depuis les années 60. On expose un aliment à une lampe blanche, puis on récupère la lumière qui réfléchit ou qui est transmise au travers de l'aliment. On analyse cette lumière à l'aide d'un spectromètre pour déterminer la composition chimique contenu en eau, en gras, en sucre, en protéines, etc. Il y a la spectroscopie Raman qui analyse la lumière émise par un aliment qui est exposé à un rayon laser. L'avantage du Raman, c'est qu'on peut obtenir de l'information sur la composition chimique d'un aliment au travers de son emballage en verre ou en plastique.
Kirk : Alors, le proche infrarouge et la spectroscopie Raman. Est-ce qu'il y a d'autres choses?
Alain : Il y a également la spectroscopie de la fluorescence qui est un peu plus récente. La fluorescence, c'est de la lumière émise par un aliment quand on l'expose à un rayonnement ultraviolet. Ce sont les composés aromatiques, et en particulier les composés phénoliques, qui sont fluorescents. On peut donc obtenir de l'information sur le profil phénolique qui est très spécifique à chaque type d'aliment.
Sara : Okay, on est vraiment dans la haute technologie. Puis, quand on parle de l'innovation en détection, comment vous vous servez de ces outils-là? Ça a commencé avec le centre Acer, c'est ça? Le centre de recherche pour l'industrie du sirop d'érable au Québec?
Alain : On a développé, en collaboration avec le centre Acer, un appareil qui s'appelle SpectrAcer et qui est présentement utilisé en industrie. On a développé ça parce qu'on n'a pas trouvé d'appareil commercial qui permettait de faire le dépistage de l'adultération et des défauts de saveur du sirop d'érable. Depuis, on a modifié SpectrAcer pour le rendre capable d'analyser des échantillons liquides et solides. SpectrAAC-2 est plus simple, il occupe peu d'espace, il est facilement transportable. On peut analyser les aliments en utilisant jusqu'à huit sources lumineuses miniaturisées à des longueurs d'onde très précises. Ceci génère une masse de données qui permettent de définir une empreinte optique complexe qui tient compte de plusieurs classes de composés aromatiques. Ce module peut être utilisé pour des échantillons liquides ou solides broyés en farine.
Sara : Parmi les aliments frelatés, on trouve souvent l'huile d'olive et le miel. Alors comment le spectrAAc-2 peut-il été utilisés, par exemple, avec ces deux produits-là?
Alain : Je dirais d'abord que les huiles végétales sont une matrice alimentaire très favorable à la spectroscopie optique. Les signaux de fluorescence sont intenses et faciles à mesurer. Le miel, c'est ça. C'est une excellente matrice également. Le signal qu'on obtient du miel, à la fois en fluorescence et en spectroscopie Raman est vraiment, vraiment très bon. Le miel, c'est une matrice un petit peu plus visqueuse, un petit peu plus difficile à travailler. Bon, mais quand on a réglé ce problème-là avec, on a développé un échantillonneur qui est plus facile à... C'est plus facile de déposer l'échantillon. Et puis voilà, ça fonctionne vraiment très bien, vraiment très bien. Ce qu'on sait du miel, c'est qu'il est possible par fluorescence, de déterminer l'origine botanique des échantillons. Bon écoutez, c'est sûr qu'on n'arrive jamais à 100 % de précision dans une analyse comme ça parce que bien entendu, les fleurs, les abeilles ne se limitent pas à une seule type de fleur, mais il y a quand même des dominantes. Et puis cela a été démontré qu'on peut arriver à déterminer la dominante d'origine botanique des miels par spectroscopie de la fluorescence. L'autre chose par rapport au miel, c'est que, ce qui est très important, c'est le profil des sucres, le profil des sucres glucose, fructose est assez restreint naturellement dans le miel.
Sara : Si le profil est différent, c'est qu'il y aurait, comme, quelque chose d'ajouter au miel?
Alain : Peut-être, peut-être. Vous savez, on est dans un domaine de banque de données, de banque d'échantillons. On doit analyser un grand nombre d'échantillons pour déterminer quelle est la région de concentration qui est normale. Il y a toujours un petit peu des échantillons qui s'échappent, alors on est dans un paradigme de la probabilité. Un échantillon à un certain niveau de profil de sucre, ça devient improbable. C'est peut-être bon, c'est peut-être normal. Ce n'est peut-être pas un problème, mais ça devient un échantillon qui est intéressant d'envoyé au laboratoire de référence qui lui va pouvoir confirmer les résultats par des méthodes, par des méthodes standards de chimie analytique, des méthodes acceptées et des méthodes de référence. Vous savez, la spectroscopie optique, les méthodes optiques, c'est bon pour faire du dépistage rapide. C'est vraiment une excellente méthode, une excellente approche pour dépister, pour voir, pour pointer vers des échantillons qui sont bizarres, différents.
Kirk : C'est vraiment cool, eh? C'est comme si le SpecrAAC2 était la vision à rayons X permettant de voir ce que contient le produit alimentaire, très facilement. C'est comme un outil de première ligne qui permet de détecter plus rapidement une éventuelle fraude.
Sara : J'adore le côté techno de tout ça, mais je voudrais ramener ça à l'expérience quotidienne de Monsieur et Madame Tout-le-monde.
Kirk : Exactement, oui.
Sara : J'avais une dernière question pour Jonathan. Bon, notre balado est pour et sur les gens du secteur agro-alimentaire. Mais on est aussi tous des consommateurs. Qu'est-ce qu'on devrait savoir sur la fraude alimentaire comme consommateurs?
Jonathan : Tout le monde veut faire une bonne affaire, non? Et je pense entre autres que si quelque chose a l'air trop beau pour être vrai, ça l'est probablement. Donc, les gens vont aller faire leurs courses et acheter le pot de miel à 1 $ en pensant « Oh wow, c'est génial! » Ben, il y a une raison pour laquelle il est à 1 $. Pas vrai? Quelqu'un devait bien gagner de l'argent quelque part. Personne perd d'argent avec ça. Le miel, c'est cher. C'est un produit qui demande beaucoup de travail pour le fabriquer, l'expédier, le stocker, tout ça. Donc l'idée, c'est de réfléchir à la provenance de quelque chose et de se demander : « Bon, qu'est-ce que je suis en train d'acheter? » Le produit le moins cher, est-ce que c'est toujours le meilleur? Des fois, c'est inévitable, mais c'est le genre de choses auxquelles je pense toujours : la provenance des produits. En tant que scientifique dans le secteur alimentaire, impossible pour moi de pas regarder une étiquette quand j'achète quelque chose, parce que le devant de la boîte, c'est pas la partie la plus importante. Il faut retourner le produit et lire les ingrédients, et s'ils sont honnêtes, ce qu'il y est la plupart du temps-là, alors vous savez ce que vous achetez. Pour la plupart, les produits sont en réalité assez sûrs et assez honnêtes.
Kirk : Sara, je pense que ceux qui travaillent dans l'industrie alimentaire en sont assez conscients. Mais je pense pas que la plupart des Canadiens savent à quel point on a un système alimentaire sûr où la fraude est atténuée et où les produits problématiques sont saisis ou retirés des rayons.
Sara : Oui, chaque jour, l'ACIA procède à des rappels de produits, des mises en garde et des saisies.
Kirk : Oui, on peut même s'abonner à leur service de notification. Enfin, c'est très utile. Au-delà de la fraude, il y a des produits qui n'indiquent pas correctement leurs ingrédients, ce qui est bien sur dangereux pour les personnes qui ont des allergies alimentaires graves comme chez moi.
Sara : Parlant de s'inscrire, si vous ne l'avez pas encore fait, allez écouter le balado de l'agence, Inspecter et protéger, pour avoir le point de vue d'un inspecteur et d'un producteur, pour savoir comment ça se passe sur le terrain quand on parle de fraude alimentaire et de miel.
Kirk : Alors profitez-en pour vous abonner à nos deux balados sur votre plateforme d'écoute préférée! Ne manquez pas les prochains épisodes.
Sara : Et d'ici là, tu sais quoi faire?
Kirk : Oui, bien sûr. Explorez!
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