La tavelure est une grave maladie causée par le Venturia inaequalis, champignon pathogène. La principale méthode de lutte contre cette maladie consiste à réaliser de multiples applications des fongicides classiques. Toutefois, au cours des dernières années, il a été signalé que ces fongicides étaient devenus moins efficaces qu’auparavant, probablement parce que le champignon y a acquis une résistance.
En 2011, dans le cadre de son Programme de réduction des risques liés aux pesticides (PRRP), Agriculture et Agroalimentaire Canada a lancé un projet visant à mettre au point des protocoles d’essai et à mener une enquête dans toutes les régions de pomiculture du Canada, pour répertorier la propagation de la résistance aux fongicides de la famille des strobilurines et aux fongicides inhibiteurs de la biosynthèse des stérols (IBS). Les résultats de ce projet sont résumés dans la présente fiche de renseignements.
Ce projet s’inscrit dans la Stratégie de lutte à risque réduit contre la tavelure du pommier, menée en vertu du PRRP avec la collaboration de divers intervenants. Cette stratégie vise à mettre au point d’outils qui pourraient être incorporés à une stratégie durable et économique de lutte intégrée contre la tavelure.
Biologie, dommages et lutte
La tavelure inflige des dommages aux feuilles et aux fruits, rendant généralement ceux-ci invendables. Souvent, les jeunes lésions ne deviennent visibles sur les feuilles qu’après la chute des pétales (figure 1). Avec le temps, les lésions deviennent brun foncé à noires et bien délimitées. Sur les jeunes fruits, les symptômes s’apparentent à ceux observés sur les feuilles; les lésions se développent lentement, deviennent brunes et nécrosées et entraînent souvent une croissance asymétrique des fruits et le fendillement de leur peau (figure 2).
Source : Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaire rurales de Ontario.
Source : Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaire rurales de Ontario.
L’agent de la tavelure passe l’hiver dans les feuilles et les fruits infectés tombés sur le sol des vergers. La maturation des ascospores (inoculum primaire causant l’infection en début de saison) débute lorsque le pommier sort de dormance (extrémité des feuilles vertes visible) et atteint son maximum entre le stade rose et le début de la floraison. L’infection initiale mène à la production de spores, qui peuvent causer de multiples infections secondaires durant la saison. Le vent et l’humidité sont nécessaires à la libération et à la germination des spores ainsi qu’à l’infection subséquente des tissus des pommes.
Lorsque les averses sont fréquentes, il devient extrêmement difficile de lutter contre la tavelure, particulièrement si la maladie a été causée par une infection primaire survenue au printemps.
Les fongicides IBS (groupe 3), notamment le Nova 40W, le Nustar et l’Inspire, et les fongicides de la famille des strobilurines (groupe 11), notamment le Sovran, le Flint 50 WG et le Pristine WG, ont été largement utilisés au cours des 20 dernières années. Ces catégories de fongicides ont un mode d’action ciblé et sont donc associées à un risque élevé d’apparition d’une résistance dans les populations d’agents pathogènes. Ce risque est accru par les applications multiples des produits durant la saison de culture. Selon des essais préliminaires réalisés au cours des dernières années, les populations d’agents de la tavelure de certains vergers canadiens présentent une résistance aux strobilurines et aux fongicides IBS.
L’application de mesures de gestion de la résistance fondées sur la connaissance des cas de résistance dans chaque verger pourrait favoriser la longévité des produits homologués, ce qui serait avantageux sur le plan économique pour les producteurs et atténuerait les risques associés à ces pesticides.
Enquête et essais de résistance
Une enquête nationale de 2 ans a été lancée en 2011, en vue de déterminer l’état actuel de la résistance de l’agent de la tavelure aux fongicides dans les vergers canadiens. Au total, 98 vergers au Canada (tableau 1) ont été soumis à des essais de résistance aux fongicides IBS (Nova 40W et Inspire), ainsi qu’au fongicide de la famille des strobilurines (Flint 50 WG).
Les producteurs participant à l’enquête n’ont appliqué dans leurs vergers commerciaux aucun traitement contre les maladies chez plusieurs pommiers. Chacune des deux années, en mai et en juin, on a prélevé sur ces arbres des échantillons de tissus frais présentant des lésions primaires causées par la tavelure, puis on a envoyé ces échantillons au Laboratoire de diagnostic phytosanitaire de l’Université de Guelph, aux fins d’analyse. L’essai de résistance utilisé était une version modifiée de la méthode SMOR (monoconidial isolation) mise au point par l’Université Cornell. Des conidies ont été prélevées sur les tissus foliaires présentant des symptômes de la maladie, puis ont été incubées sur gélose pendant 1 ou 2 jours. Les conidies en germination ont été transférées sur de nouvelles géloses, pour qu’elles produisent des colonies pures.
On a ensemencé des milieux traités au Nova (myclobutanil), à l’Inspire (difénoconazole) ou au Flint (trifloxystrobine) avec ces isolats, puis on les a laissés se développer durant 14 jours. On a déterminé le taux de croissance relative en mesurant, le 14e jour, le diamètre des isolats sur chaque milieu de croissance traité avec un fongicide, puis en comparant ce diamètre à celui du témoin. Les figures 3 et 4 montrent respectivement les résultats obtenus avec une population d’agents de la tavelure sensible et une population résistante.
Figure 3 : Agents pathogènes sensibles : les isolats de l’agent de la tavelure cultivés sur les milieux traités aux fongicides sont considérablement plus petits que ceux cultivés sur le milieu témoin (non traité).
Source : Melody Melzer, Laboratoire de diagnostic phytosanitaire de l’Université de Guelph
Source : Melody Melzer, Laboratoire de diagnostic phytosanitaire de l’Université de Guelph
Les résultats de l’épreuve de croissance ont été interprétés au moyen de seuils de croissance relative permettant de déterminer le niveau de sensibilité des isolats de l’agent pathogène aux fongicides IBS et aux fongicides de la famille des strobilurines. Les populations de l’agent pathogène ont été classées en trois catégories :
- sensible, lorsque la croissance relative se situait sous le seuil de sensibilité;
- en train d’acquérir une résistance, lorsque la croissance relative se situait entre les seuils de sensibilité et de résistance;
- résistante, lorsque la croissance relative se situait au-delà du seuil de résistance.
Un autre test de résistance, mis au point par l’Université d’État du Michigan, a été utilisé pour éterminer la présence de la mutation G143A, qui confère à l’agent de la tavelure une grande résistance aux strobilurines. Dix isolats par verger, dans le cas de 74 des 98 vergers participants, ont été soumis à la PCR, en vue de déterminer la présence de la mutation G143A.
Résultats
Fongicides inhibiteurs de la biosynthèse des stérols Selon les résultats obtenus, les populations soumises aux essais étaient en train d’acquérir ou avaient déjà acquis une résistance au Nova (figure 5). Les deux seules populations encore sensibles provenaient de deux vergers sauvages non traités (un en Ontario et un en Nouvelle-Écosse). Toutefois, le Nova peut encore être utile contre l’oïdium.
La majorité des populations soumises aux essais sont encore sensibles au fongicide Inspire, selon les résultats obtenus (figure 6). Toutefois, une croissance relative supérieure à 30 % a été observée dans le cas d’environ 50 % des populations, et 20 % des populations étaient en train d’acquérir une résistance. Même si Nova et Inspire font partie de la même famille chimique, Inspire appartient à la deuxième génération de fongicides IBS, qui est plus efficace que la première génération.
Inspire est homologué au Canada depuis 2011 seulement, et son utilisation était limitée jusqu’à maintenant. Cependant, l’acquisition d’une résistance à ce fongicide par l’agent de la tavelure peut être assez rapide dans certains vergers, étant donné que l’utilisation de Nova a entamé l’apparition d’une résistance à cette catégorie de composés chimiques.
Figure 5 : Sensibilité des populations d’agents de la tavelure au fongicide Nova, par province, en 2011 et 2012.
Le tableau dessous représente les données du graphique ci-dessus
Croissance relative moyenne (pour cent) par province | 0-10 | 11-20 | 21-30 | 31-35 | 36-40 | 41-45 | 46-50 | 51-55 | 56-60 | 61-65 | 66-70 | 71-75 | 76-80 | 81-90 | 91-100 | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Colombie Britannique | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 3 | 3 | 9 |
Ontario | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 1 | 4 | 4 | 3 | 3 | 3 | 12 | 2 | 37 |
Québec | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 2 | 0 | 1 | 2 | 5 | 11 | 6 | 28 |
Nouveau-Brunswick | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 1 | 6 |
Nouvelle-Écosse | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 2 | 3 | 1 | 1 | 0 | 0 | 3 | 7 | 1 | 18 |
Figure 6 : Sensibilité des populations d’agents de la tavelure au fongicide Inspire, par province, en 2011 et 2012.
Le tableau dessous représente les données du graphique ci-dessus
Croissance relative moyenne (pour cent) par province | 0-10 | 11-20 | 21-30 | 31-35 | 36-40 | 41-45 | 46-50 | 51-55 | 56-60 | 61-65 | 66-70 | 71-75 | 76-80 | 81-90 | 91-100 | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Colombie Britannique | 0 | 1 | 3 | 4 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 9 |
Ontario | 0 | 2 | 19 | 2 | 10 | 3 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 37 |
Québec | 0 | 2 | 13 | 10 | 2 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 28 |
Nouveau-Brunswick | 0 | 2 | 4 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 6 |
Nouvelle-Écosse | 0 | 0 | 11 | 6 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 18 |
Figure 7 : Sensibilité des populations d’agents de la tavelure au fongicide Flint, par province, en 2011 et 2012.
Le tableau dessous représente les données du graphique ci-dessus
Croissance relative moyenne (pour cent) par province | 0-10 | 11-20 | 21-30 | 31-35 | 36-40 | 41-45 | 46-50 | 51-55 | 56-60 | 61-65 | 66-70 | 71-75 | 76-80 | 81-90 | 91-100 | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Colombie Britannique | 2 | 1 | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 1 | 9 |
Ontario | 6 | 6 | 2 | 0 | 4 | 4 | 3 | 1 | 2 | 3 | 2 | 0 | 1 | 2 | 1 | 37 |
Québec | 0 | 9 | 8 | 2 | 0 | 3 | 3 | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 28 |
Nouveau-Brunswick | 2 | 3 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 6 |
Nouvelle-Écosse | 9 | 8 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 18 |
Fongicides de la famille des strobilurines
Dans le cas du fongicide Flint, les isolats allaient de sensibles à résistants (figure 7). Dans certaines régions, les fongicides de la famille des strobilurines ne sont pas utilisés depuis aussi longtemps et à aussi grande échelle que les fongicides IBS, ce qui pourrait expliquer que les résultats variaient d’une province à l’autre. Toutes les populations en train d’acquérir une résistance ou résistantes à Flint présentaient la mutation G143A (tableau 1), qui confère une résistance à tous les fongicides de la famille des strobilurines.
Province | Nombre de vergers soumis aux analyses - Essai de croissance | Nombre de vergers soumis aux analyses - DNA Screening | Présence de la mutation G143A - Nombre de vergers présentant la mutation | Présence de la mutation G143A - Pourcentage des vergers présentant la mutation |
---|---|---|---|---|
Colombie Britannique | 11 | 6 | 1 | 100 |
Ontario | 37 | 31 | 17 | 10-100 |
Québec | 26 | 22 | 10 | 10-100 |
Nouveau-Brunswick | 6 | 2 | 0 | 0 |
Nouvelle-Écosse | 18 | 14 | 1 | 10 |
Total | 98 | 75 | 29 | 10-100 |
Gestion de la résistance
Divers facteurs ont une incidence sur la probabilité que l’agent pathogène devienne résistant aux fongicides et sur l’efficacité des traitements fongicides contre la maladie. Ces facteurs sont notamment le type de fongicide utilisé (les fongicides à large spectre possédant de multiples sites d’action sont préférables aux fongicides ayant un seul site d’action), le moment des applications (les applications préventives et adaptées en fonction des conditions locales sont préférables aux applications après l’infection ou selon un calendrier préétabli), le régime d’applications (maximum de 2 applications consécutives de fongicides de même groupe possédant un seul site d’action), les mesures de désinfection, etc.
Pour éclairer la prise de décisions, des échantillons de l’agent pathogène prélevés dans chaque verger doivent être soumis à des essais de résistance à chaque produit utilisé. Si une résistance à un certain fongicide est découverte dans un verger, le produit en question finira par devenir inutile s’il continue d’être utilisé. Les essais de résistance des agents pathogènes aux fongicides peuvent être complexes, coûteux et parfois non concluants; toutefois, ils peuvent constituer un outil utile pour prendre des décisions éclairées en matière de stratégies de lutte.
À la suite du présent projet, le Laboratoire de diagnostic phytosanitaire de l’Université de Guelph a mis au point un protocole normalisé pour les essais de résistance de l’agent de la tavelure aux fongicides. Il offre maintenant un service de diagnostic aux producteurs, avec frais. Ce service permet aux producteurs et à l’industrie de connaître l’état de la résistance de l’agent de la tavelure à divers fongicides, dont les fongicides IBS, les strobilurines et d’autres produits, comme la dodine. Ce nouvel outil permet aux producteurs de prendre des décisions éclairées en ce qui a trait aux fongicides, notamment le choix des mélanges en cuve, le moment des applications et le nombre d’applications. En outre, il pourrait aider à prolonger l’efficacité des produits homologués, en incitant les producteurs à réduire au minimum l’utilisation des produits pour lesquels une résistance a été détectée dans leurs vergers.
D’autres techniques de gestion de la résistance, comme la désinfection, sont présentées dans un guide publié dans le cadre de la Stratégie de lutte à risque réduit contre la tavelure du pommier. Ce guide, disponible La tavelure du pommier : mieux comprendre pour mieux intervenir, renferme entre autres des renseignements sur la gestion des infections primaires et secondaires.
Pour de plus amples renseignements sur le projet :
Kelly Ciceran, directrice générale
Ontario Apple Growers
C.P. 100
Vineland Station (Ontario) L0R 2E0
Tél. : 905-688-0990 ext. 241
Fax : 905-688-5915
Courriel : kciceran@onapples.com
Remerciements
Le présent projet a été réalisé en collaboration avec l’Ontario Apple Growers, les Producteurs de pommes du Nouveau-Brunswick, la Nova Scotia Fruit Growers’ Association, la Fédération des producteurs de pommes du Québec, la British Columbia Fruit Growers’ Association et le Groupe de travail sur la pomme du Conseil canadien de l’horticulture. Les auteurs remercient pour leur collaboration Melody Melzer, Shannon Xuechan Shan, Todd Marrow et Gabe Ho, du Laboratoire de diagnostic phytosanitaire de l’Université de Guelph, Kerik Cox, de l’Université Cornell, et George Sundin, de l’Université d’État du Michigan. Le financement a été fourni par le Centre de lutte antiparasitaire d’AAC ainsi que par les entreprises Dow AgroSciences Canada, Syngenta – Protection des cultures, E.I. DuPont Canada, BASF Canada Inc. et Bayer CropScience Inc.
Autres sources utiles
Pour des recommandations sur la gestion de la résistance propres à votre région, consultez votre spécialiste de terrain ou votre spécialiste en vulgarisation. Les sites ci-dessous renferment des ressources additionnelles.
- Colombie-Britannique
Apple Scab Management in British Columbia (en anglais seulement) - Ontario
Pommes en Ontario - Québec
Arbres fruitiers - Nouvelle-Écosse
Managing Apple Scab Resistance in Nova Scotia Orchards (PDF, en anglais seulement)
Au sujet du Programme de réduction des risques liés aux pesticides d'Agriculture et Agroalimentaire Canada
L'équipe de réduction des risques liés aux pesticides offre aux producteurs canadiens des solutions viables pour réduire les risques liés aux pesticides dans l'industrie agricole et agroalimentaire. L'équipe accomplit cet objectif en finançant des projets de lutte intégrée et en coordonnant des stratégies de réduction des risques liés aux pesticides élaborées en consultation avec les intervenants et les experts en lutte antiparasitaire. D'autres fiches d'information sur la protection durable des cultures sont disponibles. Pour plus d'informations, veuillez visiter le Centre de la lutte antiparasitaire.