Dans l’histoire de l’agriculture canadienne, peu de personnages se sont autant distingués que Charles Saunders. En effet, ses variétés de blé de grande qualité et adaptées au climat froid du pays ont permis au secteur agricole canadien de s’épanouir. Toutefois, cette réussite était menacée par une maladie tapie dans l’ombre, capable de détruire les récoltes et menaçant les champs de blé de l’ensemble des Prairies. Les chercheurs étaient anéantis. Le blé se desséchait et mourait. Les producteurs étaient inquiets pour l’avenir. Mais une lueur d’espoir se profilait à l’horizon, des rumeurs voulant qu’une certaine chercheuse brillante et hautement compétente puisse être la salvatrice du blé.
Cette histoire est celle de l’ascension de Margaret Newton dans le secteur agricole canadien.
Héroïne du blé canadien
Margaret Newton est née à Montréal en 1887. Esprit curieux ayant soif de connaissances, elle a d’abord travaillé comme enseignante, trouvant épanouissement et joie à façonner les jeunes esprits. Toutefois, au milieu du tourbillon des classes, Margaret ne cessait de ressentir l’appel de l’enseignement supérieur; elle a donc pris la difficile décision de quitter l’enseignement pour s’inscrire au programme d’arts de l’Université McMaster. Mais une visite à son frère qui étudiait alors à la faculté d’agriculture de l’Université McGill a éveillé l’intérêt de Margaret, qui a peu après présenté une demande d’inscription au programme d’agriculture. Bien que Margaret n’ait jamais douté de sa décision, son parcours académique, tout au long duquel elle a dû faire face aux préjugés, s’est avéré une dure bataille.
Le service des admissions de McGill était hésitant à offrir une place dans le programme à cette jeune femme non mariée contrastant parmi la masse de candidats. Après qu’elle ait férocement défendu sa cause, Margaret a finalement été acceptée au programme en 1914, se retrouvant la seule femme parmi un groupe de 50 hommes. Mais ce n’était pas la seule chose qui la distinguait des autres étudiants : Margaret s’est rendue chaque jour en cours avec courage et détermination, brisant les barrières tant à l’intérieur à l’extérieur des classes. Notamment, dans un acte de bravoure mémorable, Margaret et un de ses professeurs ont fait annuler une règle archaïque qui empêchait les étudiantes d’utiliser les laboratoires, en raison d’un strict couvre-feu en vigueur à 22 h pour les femmes. L’impossibilité de travailler en soirée était inacceptable pour l’intrépide Margaret. La science ne pouvait pas attendre, et surtout pas à cause d’un absurde système sexiste.
Au cours de sa deuxième année d’études, Margaret a suivi un cours de mycologie (l’étude des champignons) et a encore une fois ressenti un irrésistible appel du destin. Après sa spécialisation en phytopathologie, Margaret a commencé des recherches sur une maladie végétale qui allait bientôt devenir indissociable de son nom : la rouille des tiges du blé.
Guerre à la rouille
Qu’est-ce que la rouille des tiges du blé?
La rouille des tiges du blé est une phytopathologie causée par le champignon Puccinia graminis. Elle infecte les tiges du blé et produit sur celles-ci des spores brun rougeâtre leur donnant un aspect rouillé. Les tiges des plantes infectées sont affaiblies et se rompent facilement, réduisant les quantités de grain récolté. Ce champignon est généralement dispersé par le vent, et ses spores minuscules peuvent voyager sur de longues distances avant d’infecter les plantes cultivées.
Au tournant du 20e siècle, la rouille est devenue un important problème chez les végétaux au Canada. De nouvelles variantes de la maladie ont continué de se répandre comme un feu de friche dans un champ sec : en 1916, 1919 et 1921, la maladie a complètement dévasté les cultures de blé dans l’Ouest. L’année 1916 a été particulièrement exécrable, la maladie ayant entraîné la perte de plus de 100 millions de boisseaux de blé de printemps.
La résilience du blé devait impérativement être améliorée.
Les chercheurs, dont nul autre que Charles Saunders, et les producteurs agricoles ont mis à l’essai des solutions pour tenter de mettre fin à l’épidémie, mais aucune de celles-ci ne s’est avérée efficace pour éradiquer la rouille. Pendant qu’il réalisait ses recherches sur le blé, Charles a eu vent d’une certaine phytopathologue prodige. Par une chaude journée d’été en 1917, il a rendu visite à Margaret et lui a remis des semences de blé Marquis afin qu’elle puisse les utiliser dans le cadre de ses recherches et lui apporter son aide.
Margaret n’a perdu aucun temps. Elle a prélevé de minuscules spores de l’agent de la rouille chez des plantes infectées, puis les a transférées à du blé Marquis et à d’autres lignées de blé. Au cours des jours qui suivirent, Margaret a observé attentivement le blé et a remarqué que les spores produisaient différents types d’infection chez le blé. Étonnée, elle s’interrogea sur la signification de ces différences. Puis un déclic s’est produit : si les spores de la rouille peuvent produire différents effets chez le blé, c’est que celles-ci présentent des variations génétiques (variations de l’ADN chez une même espèce, comme celles qui expliquent les différentes couleurs d’yeux et de cheveux chez les humains).
Cette importante percée a offert une meilleure compréhension de la diversité des souches de rouille et de la façon dont elles infectent le blé. Margaret est parvenue à déterminer les souches qui tuaient les plantes, et cette précieuse information a permis aux sélectionneurs de cibler les variétés de blé pouvant résister aux nombreuses souches de rouille.
En 1924, Agriculture et Agroalimentaire Canada a créé son laboratoire de recherche sur les rouilles à Winnipeg, ville profondément enracinée dans la culture du blé. Margaret s’est vue offrir le poste de chercheuse principale. Elle a travaillé sans relâche pour s’assurer que les champs des producteurs étaient protégés de la maladie. Elle a en outre mis sur pied une campagne annuelle de dépistage de la rouille des tiges; elle et son équipe ont ainsi pu collaborer avec les sélectionneurs afin d’évaluer la résistance à la rouille sur des générations et de mettre au point de nouveaux cultivars, ce qui a enfin permis de réduire presque à zéro les pertes occasionnées par la rouille dans les cultures de blé au Canada.
Le dévouement de Margaret à ses recherches lui a permis de devenir la première femme à être diplômée du programme d’agriculture de l’Université McGill. Elle a aussi entrepris une maîtrise ès sciences et un doctorat en sciences agricoles, devenant ainsi la première femme au Canada à atteindre une telle réalisation. Toutefois, comme Marie Curie, Margaret a travaillé jusqu’à l’épuisement tout au long de sa carrière et a fini par sacrifier sa santé au profit de l’humanité.
Un héritage durable
Margaret est rapidement devenue une spécialiste mondiale des rouilles, et la nouvelle de ses découvertes a fait le tour du monde. D’autres pays ont demandé son aide pour lutter contre les épidémies sur leur territoire, et le directeur de la recherche agricole de Russie lui a même offert un poste. Il lui a promis un généreux salaire, une équipe de 50 scientifiques et rien de moins qu’une caravane de chameaux pour qu’elle puisse se déplacer avec style. Toutefois, Margaret a refusé la proposition, heureuse de poursuivre ses recherches au Canada et de propulser l’économie du blé, grâce à des récoltes record année après année.
Elle connaissait la rouille mieux que quiconque, mais elle est devenue allergique aux spores de l’agent de cette maladie après les nombreuses années de contact étroit avec celles-ci. À la fin de sa cinquantaine, Margaret a dû prendre une retraite hâtive en raison de problèmes respiratoires causés par les spores. À cause du caractère hâtif de cette retraite, le gouvernement s’est d’abord montré hésitant à offrir à Margaret sa pleine pension. Les producteurs agricoles canadiens, qui étaient profondément reconnaissants envers Margaret et la brillante carrière qu’elle leur avait consacrée, n’entendaient pas laisser les choses ainsi. Ils ont fortement fait pression pour qu’une pleine pension lui soit accordée, ce qui a finalement été fait.
À la fin de sa vie, Margaret était heureuse d’apporter son aide pour les expériences complexes, d’offrir une porte ouverte à son immense bagage de connaissances et de servir de guide aux scientifiques les plus chevronnés, mais n’a jamais remis les pieds au champ. Alors installée à Victoria, en Colombie Britannique, et délestée de la pression et des longues heures de travail, elle a enfin pu se consacrer à d’autres passe-temps et passions. Sa nature curieuse ne l’a jamais quittée, les activités en nature comme l’observation d’oiseaux et le canot ayant remplacé les boîtes de Pétri et les microscopes.
Lorsque Margaret est décédée en 1971, ses réalisations étaient déjà reconnues comme historiques. Ses travaux d’importance durable la placent aux côtés de Sir Charles Saunders comme l’une des héroïnes du blé canadien. Elle est une source d’inspiration et de fierté pour de nombreux scientifiques canadiens, dont ceux qui poursuivent aujourd’hui sur sa voie à Agriculture et Agroalimentaire Canada.
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