Luna Yu résout le problème du gaspillage alimentaire et de la pollution par les plastiques avec l’aide des bactéries
En raison de l’intensification de la réglementation visant à limiter l’utilisation des produits de plastique, les entreprises peinent à trouver des solutions de rechange écologiques qui ne coûtent pas une fortune. Elles n’ont pas l’embarras du choix. La situation est sur le point de changer grâce à Luna Yu, cofondatrice et directrice générale de Genecis Bioindustries, et son plastique biodégradable créé à partir de déchets alimentaires. Il a suffi d’un cuiseur à riz et d’un peu de matière grise.
Un premier contact
L’amour de Luna pour l’environnement et la biologie l’a conduite à l’Université de Toronto où elle a obtenu un baccalauréat et une maîtrise en sciences. Comme beaucoup d’étudiants, elle a occupé quelques petits boulots pendant ses études, mais avec un objectif en tête. Elle a travaillé dans le domaine des ventes pour se familiariser avec le monde des affaires, car elle souhaitait vivement mettre sur pied sa propre entreprise, ce qu’elle a fait en fondant Genecis Bioindustries juste après l’obtention de son diplôme.
Luna voulait lancer une entreprise pour « utiliser la biologie en vue de créer quelque chose de nouveau et de meilleur ». Son inspiration : l’industrie du biogaz, qui transforme les déchets alimentaires en carburant. Elle voulait repousser les limites de ce qu’on pouvait faire avec des déchets alimentaires. Consciente que des tonnes d’aliments sont littéralement gaspillées chaque année, elle espérait trouver un moyen durable de les utiliser.
Des débuts modestes
La véritable « cuisine » a commencé en 2017 lorsque Luna a réuni une équipe de jeunes diplômés de différents horizons qui partageaient cependant une vision commune : faire du monde un endroit meilleur. Ensemble, ils ont passé en revue des études antérieures afin de déterminer comment ils pourraient utiliser le carbone contenu dans les déchets alimentaires et en faire quelque chose de nouveau. La réponse? Les polyhydroxyalcanoates (PHA). Présentant des propriétés similaires à celles du plastique, les PHA sont une sorte de graisse que les bactéries produisent lorsqu’elles « mangent » des déchets alimentaires.
Après avoir trouvé un moyen de transformer les déchets alimentaires en plastique biodégradable, ils devaient maintenant passer à l’étape suivante : commencer à « cultiver » les bactéries. Toutefois, en l’absence d’un laboratoire et de fonds suffisants, il était hors de question d’acheter des bioréacteurs coûteux. Faire preuve de créativité était la seule solution pour relever ce défi. Luna et les membres de son équipe ont commencé à réfléchir à des idées pour reproduire un bioréacteur qui coûterait très peu d’argent. L’appareil devait avoir un réservoir fermé qui pourrait être modifié avec des capteurs, des mélangeurs et une commande d’automatisation pour qu’il ressemble à un bioréacteur.
Ils ont d’abord essayé d’utiliser un autocuiseur, mais cela n’a pas fonctionné, car l’appareil chauffait trop vite et tuait les bactéries. L’option suivante était un cuiseur à riz. Après avoir consacré un mois et demi à modifier 7 cuiseurs à riz, ils ont entrevu une lueur d’espoir.
À la fin de l’été, le fruit de leur expérience n’a pas été du riz, mais leurs toutes premières paillettes de bioplastiques PHA produites à partir de déchets alimentaires fermentés. « Il s’agissait de moins d’un gramme, mais on venait de prouver le concept de base selon lequel il était possible de faire cela avec les carbones provenant des déchets alimentaires », explique Luna, qui n’oubliera jamais cette journée mémorable. Forte de son expérience qui confirmait son concept, l’entreprise Genecis Bioindustries était prête à révolutionner le monde. Il ne lui restait plus qu’à trouver le moyen d’augmenter le volume.
Augmentation graduelle
Genecis Bioindustries était à la recherche d’un soutien financier pour accélérer son projet. Lorsque son réseau lui a recommandé de relever le Défi de réduction du gaspillage alimentaire, Luna a décidé de s’inscrire – une décision qu’elle ne regrette pas, car elle lui a permis de franchir les étapes pas à pas. « Le défi nous a vraiment poussés à passer de l’échelle du laboratoire à l’échelle du projet pilote, puis à l’échelle de la démonstration dans une usine de biogaz », explique Luna.
Le lieu de travail actuel de l’entreprise ressemble beaucoup moins à une cuisine et bien davantage à un laboratoire professionnel, situé dans le centre-ville de Toronto, avec une installation pilote à Scarborough. L’entreprise a établi des partenariats de recherche avec des établissements et de nombreuses universités au Canada, aux États-Unis et en Europe. Luna et son équipe ne fouillent plus les poubelles pour recueillir des déchets alimentaires; elles les obtiennent directement auprès de leurs usines de biogaz partenaires qui reçoivent des centaines de tonnes de déchets alimentaires chaque jour.
Luna s’efforce de faire de Genecis Bioindustries une usine commerciale fonctionnelle produisant des revenus réguliers et des produits de tous les jours qui seront bientôt offerts aux consommateurs. Elle prévoit également de poursuivre ses expériences avec d’autres déchets organiques éliminés en grandes quantités et d’exploiter au maximum le potentiel des PHA. Grâce à la technologie et au développement de l’intelligence artificielle, les possibilités sont infinies pour contribuer à réduire le gaspillage alimentaire et la pollution par les plastiques.
Genecis Bioindustries a remporté un prix dans le cadre du volet Technologies novatrices 2024 du Défi de réduction du gaspillage alimentaire.
Que sont les PHA?
Les polyhydroxyalcanoates (PHA) sont des biopolymères produits par des micro-organismes, comme les bactéries, par fermentation. Lorsqu’ils sont extraits des bactéries, les PHA présentent les mêmes propriétés que le plastique, mais ils sont biodégradables, ce qui en fait une option plus respectueuse de l’environnement. Il est possible de mouler les PHA pour leur donner la forme d’une bouteille en plastique, puis de jeter cette bouteille en toute sécurité dans la nature, où elle s’y décomposera naturellement, éliminant ainsi tout risque de déchets, de microplastiques nocifs ou de résidus toxiques.